US Open 2025, simple messieurs – "Un joueur généré par l'intelligence artificielle" : Jannik Sinner a-t-il (encore) des failles ?

Un tennis dévastateur, un calme olympien, une invincibilité qui ne fait que s'étirer… Jannik Sinner, qui jouera cette nuit face à Felix Auger-Aliassime en demi-finale de l'US Open, ressemble de plus en plus au joueur parfait, comme issu de l'intelligence artificielle pour reprendre les propos d'Alexander Bublik. Alors, a-t-il encore des failles ? On s'attaque ici au dossier. Spoil : pas beaucoup.

Sinner, toujours implacable : "Je joue mon meilleur tennis"

Video credit: Eurosport

"Si j'étais le coach de Felix Auger-Aliassime ? Je lui dirais bon courage. Et je le lui redirais une deuxième fois avant d'entrer sur le court !" Cela tombe bien pour elle : Justine Henin n'est pas la coach de Felix Auger-Aliassime, qui aura l'immense tâche de défier Jannik Sinner cette nuit (pas avant 1h du matin) en demi-finale de l'US Open. Mais de par sa position de consultante pour nos antennes, elle est bien placée pour dresser un constat implacable et à peu près conforme à celui de tous les observateurs du jeu : elle ne voit pas très bien par quel bout le Canadien pourrait prendre le numéro 1 mondial, qui vient de le "découper" récemment en quart de finale de Cincinnati (6-0, 6-2).
Depuis, Sinner semble avoir encore accéléré la cadence sur cet US Open où, en se qualifiant de manière expéditive pour les demi-finales – malgré un set lâché à Denis Shapovalov au troisième tour -, il a étiré à 26 sa série de victoires en Grand Chelem sur dur, lui qui tente de devenir le premier joueur à conserver son titre à New York depuis Roger Federer, il y a maintenant 17 ans. Vingt-six d'affilée, seuls ce même Federer et Novak Djokovic ont fait mieux, à leur sommet. C'est aussi bien qu'Ivan Lendl et désormais une unité de plus que John McEnroe. Que des joueurs qui, durant leur période de grâce, ont tutoyé la perfection, et développé cette même impression d'invincibilité qui enveloppe aujourd'hui Jannik Sinner.
L'Italien évolue dans ces sphères-là. Carlos Alcaraz, le seul capable de soutenir, et même parfois surpasser, sa cadence infernale, suscite peut-être plus d'émotions auprès du public. Mais pas tout à fait cette même auréole de perfection tennistique qui flotte au-dessus de l'archange italien. Coup droit meurtrier, revers hors de ce monde, service désormais au diapason… Sinner fait non seulement tout très vite et tout très bien, mais il en est aussi arrivé à ce point où plus aucune émotion négative ne semble l'atteindre sur un court. Bref, la perfection au masculin. "Comme un joueur généré par l'intelligence artificielle", a tout résumé sa victime quasi-expiatoire en huitièmes de finale, Alexander Bublik.
A moins d'être soi-même un joueur hors-norme, comme l'est Carlos Alcaraz, y'a-t-il encore un trou dans la raquette dans lequel le commun des joueurs pourraient encore s'engouffrer ? "S'il y a des failles, elles ne sont pas encore identifiées, souffle Nicolas Escudé, qui a commenté son quart de finale contre son compatriote Lorenzo Musetti. Ça me fait penser à la très grande époque de Novak : il fait tout mieux que tout le monde. D'accord, il y a des coups qu'on le voit peu faire, comme le slice ou à la volée, mais il n'en a pas besoin ! Il fait tellement bien tout le reste que cela suffit à contrecarrer les plans adverses."
La seule chance contre lui, c'est de faire des changements de rythme. Le problème est que sur dur, l'équation se complique car on a moins d'options pour varier.
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Trois petits jeux, la démonstration de Sinner en vidéo

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Effectivement, Jannik Sinner n'est pas le meilleur volleyeur du monde, et il doit frapper autant de revers slicés dans un match qu'il ne concède de balles de break, c'est-à-dire quasiment aucune. Mais le slice, aussi efficace (et esthétique) soit ce coup, est avant tout un coup "alternatif" : on l'use soit pour casser le rythme, soit pour garder la balle basse, soit en défense. Or, Jannik Sinner n'est quasiment jamais en défense, il ne veut surtout pas casser le rythme mais au contraire imposer le sien, et n'a aucun intérêt à varier les trajectoires puisque son "sweetspot à lui" se situe à mi-hauteur.
"Dans la filière en cadence à hauteur de hanche, c'est le meilleur joueur de l'histoire selon moi : c'est comme Djokovic mais en plus vite, abonde Petar Popovic, qui était le coach de Corentin Moutet lorsque le Français avait pris un set à Sinner l'an dernier à Roland-Garros, et qui travaille désormais avec l'Allemand Yannick Hanfmann, battu par le phénomène cette année au premier tour de Halle. La seule chance contre lui, c'est de faire des changements de rythme : alterner des balles hautes, slicées, des amorties, pour le sortir un peu de son tennis robotique. Le problème est que sur dur, l'équation se complique car on a moins d'options pour varier. Il joue encore plus près de la ligne et le rebond est parfait pour lui."  
Les propos de l'ancien joueur serbe sont corroborés par un fait. Les cinq joueurs qui ont battu Sinner depuis deux ans – Alcaraz, Bublik, Rublev, Medvedev et Tsitsipas -, sont, à l'instar du seul qui lui a pris un set pour l'instant à l'US Open - Shapovalov – des joueurs capables à la fois de varier le jeu tout en étant doté d'une forte capacité de percussion. L'un sans l'autre paraît rédhibitoire. Il faut, semble-t-il, être capable d'emmener sur le court une forme d'imprévisibilité à même de faire sortir le TGV de ses rails. Chose que sait très bien faire un Carlos Alcaraz.
Si vous aviez trouvé Arthur Rinderknech particulièrement extraverti lorsqu'il a affronté l'Italien au premier tour de Roland-Garros cette année, ça n'est pas fortuit. Le Français était bien dans ses pompes, on l'a vu par la suite avec ses résultats. Mais c'était surtout intentionnel. "Le plan de jeu était de le sortir de sa zone de confort, d'amener un peu de folie sur le court, ce qui n'est pas dans son naturel à lui, racontait le récent huitième de finaliste de l'US Open (battu par Alcaraz), invité mardi de notre émission Retour Gagnant, diffusée sur Youtube. Je n'ai pas forcément fait la même chose contre Alcaraz, qui lui aime bien ce petit jeu."
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Rinderknech : "J'ai la sensation qu'Alcaraz et Sinner ont souvent un coup d'avance sur nous"

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Entre Alcaraz et Sinner, il est évident que l'équation n'est pas la même. Le tennis de l'Espagnol, alternance de caresses subtiles et de gifles monumentales, est un tennis de variations, là où celui de Sinner, fait d'enchaînement d'uppercuts, est un tennis de cadence. "J'ai toujours trouvé plus confortable de jouer contre Jannik parce qu'au moins, il vous donne plus de rythme et il vous fait jouer plus de fois le même coup, racontait Holger Rune avant l'US Open. Avec Carlos, c'est complètement imprévisible, ce qui rend les choses plus difficiles." Face à l'Italien, on peut peut-être plus facilement se régler. Mais encore faut-il être sur la balle…

Toujours aucune victoire de plus de 3h45

Reste un dernier aspect, peut-être celui qui pose encore le plus questions chez le numéro 1 mondial : l'aspect physique. Il faut rappeler que Sinner a perdu les huit matches les plus longs de sa carrière, c'est-à-dire les huit matches qui ont surpassé les 3h45, son record, lors de la finale de l'Open d'Australie 2024 contre Daniil Medvedev. Une statistique qui paraissait plus parlante dans un passé qu'aujourd'hui, vu la manière dont il a tenu la cadence des 5h30 qu'a duré la finale de Roland-Garros cette année contre Alcaraz.
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"Il n'y a même pas eu besoin d'un immense Sinner pour venir à bout de cet Alcaraz-là"

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Reste que cette finale, qu'il est passé à un point d'emporter après… 3h45 de jeu, il a fini par la perdre. S'il n'a pas craqué physiquement, Sinner n'a pas forcément une santé aussi inoxydable que son jeu, confer son abandon récent en finale de Cinncinnati, où il est tombé malade. Cela ne peut donc pas être une mauvaise idée de partir avec l'intention de l'embarquer dans un combat physique. De toute façon, généralement, c'est soit ça, soit être proprement exécuté fissa sur la place publique.
"Personnellement, je n'ai absolument plus aucun doute sur son physique vu les progrès qu'il a réalisés sur ce plan, balaie Nicolas Escudé. Mais la seule chance d'Auger-Aliassime, qui n'est pas vraiment un joueur de variations, sera de compter sur une énorme qualité de service pour pouvoir l'emmener sur des fins de sets. Là, on ne sait jamais. Tout Sinner qu'il est, il peut être sous tension car lorsque l'on n'arrive pas à breaker, à la longue, cela peut être usant."
Mea culpa à l'égard de Felix Auger-Aliassime : on a oublié de le mettre à la liste de ceux qui ont battu Sinner depuis deux ans. C'était à Madrid l'année dernière, en quarts de finale. L'Italien, officiellement touché à la hanche (c'était peu de temps après s'être vu notifier un contrôle positif au Clostebol), avait… déclaré forfait. Le Canadien peut-il au moins compter sur ce souvenir, et sur sa bonne étoile. Et vu qu'il n'a pas grand-chose à perdre par ailleurs, autant foncer tête baissée, avec ses armes. On ne sait jamais, sur un malentendu…

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