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L'œil de Rio : Gloire au décathlon

Laurent Vergne

Mis à jour 19/08/2016 à 15:08 GMT+2

JO RIO 2016 – Si Usain Bolt a encore marché sur le 200m et sur l'histoire de l'athlétisme cette nuit, c'est d'une autre épreuve marquante de cette journée dont nous vous parlons ce matin : le décathlon. Une épreuve absolument unique au monde.

Ashton Eaton et Kevin Mayer à l'issue du décathlon des JO de Rio

Crédit: AFP

C'est encore une sacrée journée (soirée, ou nuit si vous préférez, de votre point de vue), qui s'est offerte à nous jeudi. Et toujours ce cocktail aussi détonnant qu'étonnant, de performances et d'émotions, qui n'appartiennent décidément qu'au sport, en tout cas dans ces proportions. J'aurais pu vous parler d'Usain Bolt, désormais maître du monde sans discontinuer sur 200 mètres depuis huit ans et six grandes compétitions planétaires.
J'aurais pu vous parler, aussi, du bronze de Christophe Lemaitre sur ce même 200. De la mère de famille et néanmoins formidable guerrière Sarah Ourahmoune. Des larmes incontrôlables d'Amandine Leynaud, réalisant soudain qu'elle était médaillée olympique, après ce nouveau thriller victorieux des filles du hand. J'aurais pu vous parler de tout ça, et peut-être faudra-t-il songer, pour la prochaine fois, à un quadruple "Oeil de Tokyo" quotidien. Les Jeux justifieraient bien ça.
Puis, à une heure déjà bien avancée de la soirée (de le nuit, pour vous, donc), les mots de Kevin Mayer m'ont convaincu, comme une évidence, de parler du décathlon. Pas celui-ci en particulier, même s'il fut très "quali", avec le nouveau sacre d'Ashton Eaton, record olympique à la clé, et l'argent monumental d'un Kevin Mayer passé en 48 heures dans une autre dimension. Non, c'est le décathlon en tant que tel qu'il faut ici célébrer. Kevin Mayer a, d'une phrase, résumé toute la philosophie de cette épreuve qui ne ressemble à aucune autre. Ni sur le fond, ni sur la forme, ni pour ce qu'elle implique comme liens entre ses concurrents.
Kevin Mayer, médaille d'argent du décathlon

Union sacrée pour les travaux d'Hercule

Il y a eu dans cette journée de jeudi un moment charnière, où tout aurait pu basculer, et aurait, peut-être, pu propulser Kevin Mayer jusqu'à la médaille d'or. C'était au saut à la perche, la huitième des dix épreuves. Ashton Eaton venait de rater ses deux premiers essais à 4,90m. S'il s'était arrêté là, Kevin Mayer aurait pris la tête de ce déca devant l'Américain, et qui sait ce qui aurait pu se produire ensuite. Mais Eaton est passé. Il a même sauté 5,20m, limitant ses pertes sur le Français.
Quand il est venu devant les médias après ses 10 travaux d'Hercule, nous avons demandé au désormais vice-champion olympique s'il avait pensé, lui aussi, au moment où Eaton s'est élancé pour cette dernière tentative à 4,90m, à un possible destin doré. S'il avait, intérieurement, croisé les doigts pour que Eaton se rate, craque, et lui ouvre la porte. Perdu. Et difficile de tomber plus à côté que nous. Savez-vous ce que Mayer a fait à ce moment-là ? Il a encouragé Eaton. Voici les mots exacts de Kevin Mayer :
J'ai encouragé Ashton. Vous allez me dire, c'est peut-être con, mais c'est l'esprit du décathlon. Au début, on est contre les autres. Mais au fur et à mesure, on se bat tellement contre nous-mêmes, contre la fatigue, qu'on est obligé d'aller vers les autres et de s'encourager mutuellement.
Tout le décathlon tient dans cette phrase. Bien sûr, personne ne découvre ici à Rio la nature si spécifique du "déca". Mais je n'en suis ni blasé ni moins bluffé pour autant à chaque fois. Les mots de Mayer font écho à ceux d'un de ses prédécesseurs en équipe de France, Sébastien Levicq, qui avait dit au détour d'une interview : en décathlon, tu as plus des frères que des adversaires. C'est l'union sacrée.
Ashton Eaton enlace Kevin Mayer après le décathlon des Jeux de Rio 2016

Loin des sifflets

Dans ces Jeux de Rio, il y a 302 épreuves au programme, issues de 41 sports. Vu l'heure (3h05 exactement à l'écriture de ces mots), je peux me tromper et j'en appelle à votre indulgence, mais je ne crois pas qu'il existe une autre discipline où le plus grand challenger du futur champion olympique l'encourage à un moment crucial de la compétition qui pourrait faire basculer celle-ci en sa faveur. Et croyez-le bien, ça n'a pas empêché Kevin Mayer d'avoir envie d'aller bouffer Eaton. Mais pas une demi-seconde en souhaitant la perte de son rival.
Un état d'esprit qui se transporte jusqu'aux tribunes. Un des frères de Kevin Mayer m'a confié que, dans le public, une cinquantaine de Français venus encourager Mayer et l'autre Tricolore, Bastien Auzeil, ont côtoyé pendant deux jours les Américains, les Canadiens et les autres. "On a encouragé Ashton (Eaton) et Damian (Warner, le Canadien, médaillé de bronze) et les Canadiens n'ont pas arrêté d'encourager Kevin", a expliqué le frangin du médaillé d'argent. Il y a trois jours, au même endroit, on parlait sifflets, irrespect, insultes et polémiques après la finale de la perche. Trois jours après, c'est peu dire que ces images et ces mots font du bien. Mais vous ne verrez de toute façon jamais personne siffler un décathlonien. Même pas au Brésil. Un décathlonien, c'est sacré. Le décathlon aussi.
Rassurez-vous, ce n'est pas dans les tuyaux, mais si, un jour, il prend l'envie au CIO, parfois chatouillé par de curieuses lubies, de supprimer du programme olympique le décathlon, comme il a pu le faire avec d'autres épreuves mythiques dans certains sports (rendez-moi le kilomètre sur piste...), il faudra que tout le monde se mette en marche pour stopper pareille hérésie. Aussi solidaires que des décathloniens.
Kevin Mayer à Rio
De notre envoyé spécial à Rio, Laurent Vergne
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