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Les Grands Récits : Stokes - Twyman, la main tendue de l'ange gardien

Maxime Dupuis

Mis à jour 24/06/2019 à 12:45 GMT+2

LES GRANDS RECITS - Maurice Stokes et Jack Twyman, c’est une histoire qui redonne foi en l’humanité. Parce que c’est celle d’un homme qui a décidé d’aider son prochain, frappé par le malheur. Rien ne les liait lorsque le premier a été atteint de paralysie. Le second est pourtant venu à son secours. Parce qu’il le fallait. Simplement.

Twyman et Stokes

Crédit: Eurosport

Fin 2018, nous vous avions proposé de choisir vous-mêmes les sujets de nos Grands Récits. Plus de 460 histoires ont été soumises par vous, lecteurs. Nous en avons retenu douze. Vous pourrez les découvrir dans notre rubrique du mardi jusqu'au mois de juin. Ce mardi, il est question d'une histoire qui serait belle si elle n'était pas si malheureuse. Celle de Maurice Stokes et de son ange gardien, Jack Twyman.

Les personnes extraordinaires ont ceci d'unique qu'elles espèrent toujours vous faire croire qu'elles ne le sont pas. Que leur ordinaire équivaut à votre quotidien, celui du commun des mortels. Ça part évidemment d'un bon sentiment. Mais c'est un mensonge. Non, si ces individus-là se sont hissés au-dessus de la mêlée, cela n'a pas grand-chose à voir avec le hasard, même si leur élévation est souvent due aux événements qui les portent et dictent leurs actes.
A de rares exceptions près, on ne naît pas exceptionnel. On le devient. Prenez John Kennedy - dit "Jack" - Twyman. Mis à part être prénommé comme un président des Etats-Unis, frôler les 2 mètres sous la toise et être plutôt doué ballon entre les mains - ce qui n'est déjà pas mal -, il n'était pas forcément voué à laisser une trace dans l'histoire. Il l'a fait, d'une manière qui s'est imposée à lui, autant qu'il l'a choisie. C'est en tout cas ce qu'il laissait entendre de son vivant quand on lui demandait pourquoi lui, et pas un autre, s'était "sacrifié" tant d'années pour venir au secours d'un coéquipier frappé par le malheur. Sa réponse était invariable et aurait pu, à chaque fois, être accompagnée d'un haussement d'épaules.
Il fallait faire quelque chose et quelqu'un devait s'en charger. J'étais le seul ici, alors je suis devenu ce quelqu'un.
Ce que Jack Twyman a fait n'est pas aussi naturel qu'il l'affirmait, avec modestie. Parce qu'il n'était justement pas le seul à pouvoir aider Maurice Stokes. Mais ce fut lui. Et pas un autre.
Une chose est sûre, Twyman n’a pas obéi à sa conscience pour qu'on lui tape dans le dos à chaque coin de rue et qu'on l'encense jusqu'à la fin de sa vie. "Jack n'a pas fait ça pour les éloges. C'était juste la bonne chose à faire. C'est ce qui fait de lui un homme vraiment très spécial." Ces mots sont signés John Doleva, actuel président du Hall of Fame, institution qui l’a immortalisé en 1983. Deux grosses décennies avant son frère d'armes et d’âme, Maurice Stokes.
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Jack Twyman

Crédit: Getty Images

Maurice Stokes est le héros maudit de cette histoire. Dans un monde idéal, il serait devenu l'un des plus grands joueurs de l'histoire de la NBA. Parce que l'ailier fort avait quelque chose de spécial et, surtout, un coup d'avance sur ses contemporains. A une époque où l'horizontalité était la norme, Stokes a montré qu'il existait une autre voie, plus verticale. Plus athlétique, surtout.
Du haut de ses 201 centimètres, l'ailier ne révolutionne pas le jeu par sa taille, comme le fera bientôt Wilt Chamberlain. Mais Stokes est rapide et athlétique. Et ça, à cette hauteur, ce n'est pas loin d'être nouveau. "Il est le premier ailier fort de l'histoire à répondre à ces canons. Mo Stokes, c'était Karl Malone avec plus de finesse", a dit un jour Bob Cousy, meneur de légende des Boston Celtics. Si on redemandait aujourd'hui au nonagénaire de comparer Stokes à une autre légende de la Ligue, il est fort possible que le Mailman d'Utah ferait place nette à LeBron James, pour sa supériorité physique sur la concurrence et son exceptionnelle lecture du jeu.
Né le 17 juin 1933, Maurice Stokes a (bien) poussé dans un coin d'Amérique qui n'avait pas beaucoup de perspectives à offrir à ses enfants, et encore moins à ceux qui n'étaient pas nés avec la peau claire, celle des passagers du Mayflower. Mo a vu le jour à Rankin, à une grosse dizaine de kilomètres de Pittsburgh. Papa travaille dans l'acier, évidemment. Maman, elle, est domestique. Le "petit" Maurice a une sœur jumelle, deux frères et une balle orange, qui fera son bonheur et son malheur.
Le début de carrière de Mo Stokes est d'une banalité confondante. Il ne convainc pas immédiatement ses entraîneurs qui le laissent mûrir à son rythme. Au lycée, la Westinghouse High School, l'adolescent grandit dans l'ombre de ses aînés. Deux ans à ronger son frein et puis l'explosion. Avec Stokes en pierre angulaire, les Bulldogs remportent deux titres locaux d'affilée en 1950 et 1951. Direction l'université et le Saint Francis College.
Et là, Maurice déploie ses grandes ailes, ce que ses 23,1 points et 26,5 rebonds de moyenne dès son année de freshman résument assez fidèlement. Le climax de sa riche carrière universitaire intervient lors de sa quatrième et dernière saison, lors de laquelle Stokes porte Saint Francis jusqu'au National Invitation Tournament, organisé dans la Mecque du basket, le Madison Square Garden. Aujourd'hui, le NIT est une consolante pour les facultés qui ratent la March Madness. A l'époque, c'est LE tournoi final NCAA par excellence. Il n'a rien d'une compétition au rabais.

MVP sans gagner

Nous sommes en 1955 et Mo Stokes va y réussir un exploit rare. Douze invités, un champion : les Dukes de Duquesne. Saint Francis ? Même pas finaliste. Et encore moins sur le podium. Les Red Flash ont éliminé Seton Hall au premier tour, Holy Cross au deuxième mais sont tombés sur un os en demi-finale, les Flyers de Dayton. Une défaite de six points (73-79) mais une "victoire" pour Stokes, qui a éclipsé les autres acteurs du match et même du tournoi. L'ailier a scoré 43 points, pris 19 rebonds et porté Saint Francis à bout de bras. Mais cela n'a pas suffi. Ses 31 points n'éviteront pas une dernière défaite aux Red Flash, lors du match pour la troisième place. Match perdu face à Cincinnati et un certain… Jack Twyman, auteur de 29 unités. Les deux hommes ne le savent pas encore. Ils ne peuvent évidemment pas l'imaginer. Mais ils seront bientôt liés à jamais.
Durant ces quelques jours, Stokes a pris toute la lumière et éclipsé le reste du plateau. Pas de sacre collectif, certes, mais l'ailier fort est sacré MVP du tournoi… en ayant perdu deux matches. L'heure du grand saut a sonné. Stokes est prêt à en découdre avec les grands. Direction la NBA, malgré une offre alléchante des Harlem Globe Trotters qui sont tombés sous le charme de ce grand échalas et de ses qualités techniques et physiques. Mo refuse les 15 000 dollars qui lui étaient offerts.
Le numéro 26 quitte Saint Francis, qui retombera vite dans l'anonymat. Depuis son départ, la fac n'a participé qu'une fois à la March Madness. Un petit tour en 1991 et puis s'en va. Si vous voulez vous donner une idée plus précise de l'impact unique de Stokes sur Saint Francis, allez donc faire un tour sur le site internet de l’université : une page complète lui est dédiée. Tout simplement.
La draft est organisée le 13 avril 1955 à New York et, sans surprise, Mo Stokes ne tarde pas a être retenu. Dick Ricketts, champion universitaire avec Duquesne et choisi par les Milwaukee Bucks, lui souffle la première place. Il n'en fera pas grand-chose. Stokes est drafté dans la foulée, par les Rochester Royals qui ont flairé le bon coup. Quelques minutes plus tard, la franchise se servira de son second pick pour sélectionner… Jack Twyman. Ce double choix aura des répercussions dépassant les simples frontières du basketball.
Maurice Stokes sous le maillot des Royals
L'impact de Stokes sur les Royals et la NBA est instantané. Premier match, premier carton. Rochester est certes battu par les Knicks mais le nouveau numéro 12 de Rochester donne un aperçu de son talent XXL : 32 points, 20 rebonds et 8 passes. On appelle ça des débuts réussis. Tout au long de cette première saison - et de sa trop courte carrière NBA -, Stokes noircira les feuilles de stats dans des proportions assez rares à l'époque. Ses 16,8 points, 16,3 rebonds et 4,9 passes de moyenne font de lui le meilleur marqueur, rebondeur et passeur de sa franchise dès sa première saison. Sélectionné pour le All Star Game de janvier - comme lors des deux saisons suivantes -, il est évidemment récompensé du titre de rookie de l'année. Sa carrière s'annonce brillante. Elle durera à peine trois ans.
On pourrait vous abreuver et vous saouler de tous les chiffres et statistiques possibles, vous signaler que Maurice Stokes reste à ce jour l'un des 8 joueurs de l'histoire à avoir aligné quatre triples doubles de rang, avec Jordan, Magic, Chamberlain, Westbrook ou encore Harden. Vous dire, aussi, qu'il partage avec "Wilt the Stilt" la particularité d'avoir terminé 2e meilleur rebondeur et 3e passeur de la NBA une même saison, mais cela serait anecdotique au regard de la suite, exceptionnelle à tous les sens possibles du terme.
"Si les choses s'étaient passées différemment, Maurice serait devenu l'un des dix meilleurs joueurs de l'histoire", jugeait Bobby Wanzer qui l'avait côtoyé sur les parquets et entraîné. Malheureusement pour Stokes, les choses ne se sont pas passées différemment. Et le destin a confisqué au centuple ce que la nature avait offert au jeune homme.
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Maurice Stokes en 1955 lors de Royals - Knicks

Crédit: Getty Images

12 mars 1958. Dernier match de la saison régulière. Les Royals, fraîchement relocalisés à Cincinnati, affrontent les Minneapolis Lakers. Au cœur de la partie, Stokes, 24 ans, monte au panier et, victime d'un contact comme il en existe des centaines et des centaines par saison, se retrouve déséquilibré. Il heurte violemment le parquet, tête la première. Mo est KO.
A cette époque et pour régler ce type de problèmes, on a des solutions simples. Et efficaces. Des sels ammoniacaux sous le nez et c'est reparti pour un tour. Stokes termine le match. Les Royals s'imposent avec 24 points et 19 rebonds de l'intérieur. Tout va bien. Plus de peur que de mal. L'"incident" ne fera même pas une ligne dans les journaux du lendemain.
La notion de "protocole commotion" n'existe pas. Son concept n'a même pas encore effleuré l'esprit des dirigeants de la ligue américaine. Maurice Stokes rentre chez lui. Le mal, insidieux, est pourtant en train de prendre le pouvoir dans le corps du malheureux.

"Je ne pouvais pas parler, je ne pouvais pas bouger"

Les playoffs débutent. Premier match à Detroit, trois jours plus tard. Une défaite, 12 points, 15 rebonds pour Stokes et, à l'aéroport, "Big Mo" commence à se sentir mal. Nauséeux, il s'en va vomir dans les toilettes. Ce sont peut-être les bières qu'il vient de s'envoyer avec les copains. A moins que ce soit un virus. Jim Paxson Sr n'est pas très bien non plus, après tout.
Mais à bord de l'avion, son état se détériore rapidement. "J'ai l'impression que je vais mourir", a-t-il le temps d'expliquer à ses coéquipiers, avant de convulser et de tomber inconscient. A l'atterrissage, il est porté par ses partenaires et emmené d'urgence à l'hôpital de Covington, distant de onze miles. Stokes est âgé de 24 ans. Il ne remarchera plus. Et n'a plus que douze ans à vivre.
"Un jour, c'était l'an dernier, je me suis réveillé du plus long sommeil de ma vie. J'ai ouvert les yeux et vu trois personnes à côté de mon lit, décrira-t-il en 1959 à un journaliste, avec ses moyens. J'ai reconnu ma sœur, mon père et mon vieil ami Ed Fleming, des Minneapolis Lakers. Il avait joué avec moi au lycée. J'ai commencé à vouloir leur dire bonjour. Et je me suis rendu compte que je ne pouvais pas parler. Je ne pouvais pas bouger."
Son père, sa sœur et un ami. Seule manque une personne à son réveil, après deux mois de coma. Celle qui sera la plus importante jusqu'au jour de sa mort : Jack Twyman. Maurice ne le sait pas encore mais le numéro 27 des Royals a décidé de prendre en main son destin et de subvenir à ses besoins.
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Jack Twyman et Maurice Stokes

Crédit: Getty Images

Pourtant, Stokes et Twyman ne sont pas amis. Ils ont vécu une première vie basketballistique en parallèle, avant d'être réunis sous le même maillot. A part ça, les deux hommes n'ont pas grand-chose en commun. Déjà, et c'est loin d'être un détail : leur couleur les sépare. En 2019, cela paraît absurde à bien des égards. En 1958, c'est une réalité et le quotidien de l'Amérique ségrégée, qui a pourtant aboli l'esclavage il y a près d'un siècle.
Durant les trois ans qu'ils ont passés ensemble à Rochester ou à Cincinnati, ils n'ont pas tissé de liens particulièrement forts. Un épisode, anecdotique à l'époque, fut rappelé quelques années après. Il les avait opposés lors d'un temps mort, durant un regroupement. D’un côté, Twyman le shooteur. De l’autre, Stokes le rebondeur. "C'est quoi ton problème avec les rebondeurs ?", lui lance Stokes. "Un type comme toi ne peut faire que ça… Comme tu ne peux pas mettre ton premier shoot, t'es obligé d'avoir une deuxième ou troisième chance pour marquer", lui balance Twyman, sans ménagement. Stokes aurait pu lui rétorquer qu'il se bat aussi pour ramasser ses shoots ratés…
Paralysé, Stokes ne rejouera plus au basketball. Les Royals s'en rendent vite compte et ne tardent pas à en tirer les conséquences qui s'imposent, financièrement parlant. Pas de basket ? Plus de salaire. Ils "coupent" l'ailier fort. Envolés les 20 000 dollars annuels. Et comme il n'existe pas de pension de retraite ou d'assurances pour ce type de pépins, Maurice Stokes se retrouve avec 9 000 dollars sur son compte en banque. Et rien d'autre.
C'est là que Twyman entre dans la danse. "Il a peut-être fait ça par naïveté, explique son fils, Jay. Parce que si vous êtes vraiment intelligent et terre à terre, vous vous rendez vite compte qu'il est impossible de payer les factures d'hôpital de Maurice". Jack est peut-être naïf mais il est aussi et surtout d'une générosité exceptionnelle.

100 000 dollars pour survivre

Jusqu'à sa mort, en 2012, Twyman ne saura pas expliquer pourquoi il l'a fait. Pourquoi il a dédié douze années de son existence à aider un homme qui avait tout perdu, au péril de sa vie de famille, au péril, aussi, de son confort matériel. Parce que les coûts hospitaliers du malheureux Stokes s'élèvent à 100 000 dollars annuels et, hier plus encore qu'aujourd'hui, ce n'est pas une somme que l'on trouve sous le sabot d'un cheval. D'autant que Twyman touche autour de 15 000 dollars par an. Mais qu'importe, Jack va le faire. Envers et contre tous.
Rapidement, Twyman devient tuteur légal de Stokes et, malgré les doutes de son fils, l'homme a oublié d'être stupide. La suite de sa vie le prouvera quand, après avoir été consultant pour la chaîne ABC, il revendra "Super Food Services", une entreprise dont il aura été le président entre 1972 et 1996, pour 3 millions de dollars. Twyman a le sens de l'entreprise, des affaires et c'est tout sauf un détail.
Premier homme avec Chamberlain à avoir passé la barre des 30 points de moyenne en NBA (31,2 en 1959/1960), Twyman comprend vite que sa bonne volonté ne suffira pas à secourir Stokes. Il faut aussi s'attaquer au nœud du problème et au nerf de la guerre : l'argent.
Le hasard faisant bien les choses, surtout pour les têtes bien faites, Jack Twyman ne passe pas ses étés à se prélasser sur un transat au bord de la plage. Non, entre deux saisons, le jeune homme travaille… dans les assurances. Du coup, l'ailier en connait un rayon quand il est question de loi. Il va se pencher sur les livres de droit et permettre à Stokes de bénéficier d'une pension. Déjà un pas de fait.
L'autre, gigantesque, sera la création d'un match de charité avec un certain Milton Kutsher, amoureux de la balle orange et, surtout, possesseur d'hôtels de luxe dans les Catskills. Kutsher accueillera tout le beau monde que Twyman ramènera. Et du beau monde, il y en aura. La crème de la crème de la ligue apporte son écot : de Wilt Chamberlain à Oscar Robertston, en passant par le jeune Lew Alcindor, les stars de l'époque viennent jouer pour Mo Stokes. Sans arrière-pensée. L'évolution du jeu, la starification des joueurs ainsi que le temps passant feront péricliter le rendez-vous, jusqu'à le transformer en tournoi de golf. Mais pendant des années, tout le monde se déplacera pour Maurice.
L'argent que Twyman récolte inlassablement est indispensable à la survie de Stokes. Mais il ne représente "que" la partie émergée de l'iceberg. Comme toujours, c'est ce qui est invisible à l'œil nu qui comptera le plus dans la vie de Stokes et dans l'engagement de Twyman. Parce que Jack ne va pas se contenter de fournir une forme de "confort" matériel au paralysé. Il va également lui apporter le réconfort moral nécessaire et l'aider à progresser dans sa lutte contre la maladie. Et ça, ça n'a pas de prix.

"Cher Jack, comment puis-je te remercier ?"

De l'accident jusqu'à la disparition de Maurice, les deux hommes seront inséparables. Jack va réapprendre les rudiments du quotidien à Maurice, qui a perdu ses fonctions motrices mais a conservé toute sa tête. L'aider à s'exprimer, en clignant des yeux tout d'abord, avec son index ensuite. Puis avec sa bouche, tant bien que mal. Le jour où Mo réussira pour la première fois à parler avec son doigt, il exprimera un "Cher Jack, comment puis-je te remercier ?"
A l'inverse, l’épaule de "Big Mo" et son sens de l'humour, dont il ne se départira jamais, seront des alliés puissants pour Jack Twyman, qui n'aura pas de mal à reconnaitre combien Stokes fut essentiel pour lui aussi : "En douze ans, je ne l'ai jamais vu avoir un mauvais jour. Je ne l'ai jamais vu perdre le sourire sur son visage. Le voir ainsi, sans jamais se plaindre… Je suis toujours resté admiratif. A mes yeux, il allait si mal que lorsque j'avais passé une mauvaise journée, j'allais voir Maurice, égoïstement, pour dire : 'il faut que je me regonfle’. Et ça ne manquait pas : il me regonflait à bloc. Tout le temps."
Au fil des mois et alors que Stokes recouvre une once de mobilité, Twyman en fait un membre de sa famille à part entière, jusqu'à reléguer femme et enfants au second plan. Ses visites fréquentes à l'hôpital de Cincinnati, le bien nommé "Bon Samaritain", sont doublées d'un repas du dimanche que les Twyman partagent régulièrement avec cet invité pas comme les autres. A table, il n'est pas question de se morfondre avec Mo et l’infirmière qui le nourrit. On y rit, beaucoup, éperdument. En 1965, pour la première fois, Stokes assistera même au match de charité qui est organisé en son honneur.
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Jack Twyman et Maurice Stokes

Crédit: Getty Images

L'histoire est belle, à sa manière. Elle sera malheureusement courte. Le 30 mars 1970, Maurice Stokes est victime d'une crise cardiaque qui va l'emporter six jours plus tard, à 36 ans. Une fois n'est pas coutume, Jack Twyman n'est pas dans les parages quand Stokes rend son dernier soupir. L'hôpital conservera le corps du défunt jusqu'au retour de son ange gardien. Il repose depuis dans le cimetière du campus de l'université de Saint Francis. Là où tout avait commencé.
"C'était un homme magnifique qui jugeait qu'abandonner n'était pas une solution, même s'il ne pouvait pas marcher, ni parler sinon atrocement. Il rigolait quand il aurait dû pleurer." L'hommage est signé Milton Gross, grand éditorialiste du New York Post. “Il rigolait quand il aurait dû pleurer” : la formule résume à merveille les douze années qui ont séparé l’accident et son issue fatale. Douze années durant lesquelles la douleur avait fini par laisser place à une forme de douceur.

Un (mauvais) film et une (belle) récompense

Trois ans après la disparition de Maurice Stokes, le cinéma s'emparera de cette histoire extraordinaire et en fera un long métrage intitulé "Maurie" dont la qualité artistique ne sera pas à la hauteur de la réalité. La NBA, elle, mettra plus de temps avant d'honorer Maurice Stokes et Jack Twyman. Mais elle le fera bien.
En 2013, un an après la mort de Twyman, la ligue et son commissionnaire d'alors, l'historique David Stern, immortalisent le duo en créant une récompense qui, une fois n'est pas coutume, ne célèbre pas la réussite individuelle. Non, le “Twyman - Stokes Award”, dont la représentation visuelle est fidèle à ce que fut le premier pour le second puisqu'il représente un basketteur aidant un partenaire à se relever, honore le meilleur coéquipier, sur le parquet mais aussi en dehors, quand les lumières s’éteignent. Depuis 2013, Chauncey Billups, Tim Duncan, Vince Carter ou Dirk Nowitzki l'ont reçu.
Jack Twyman l'aurait mérité à vie. Emporté en 2012 par un cancer, il aurait rêvé de faire un bout de chemin supplémentaire avec celui qui était devenu son ami. Un jour, il eut ces mots, emplis d'une intégrité et d'une sincérité uniques : "Je vais être honnête : quand j'ai commencé à l'aider, je ne pensais pas que ça durerait douze ans. Maintenant, je regrette que tout ça n'ait pas duré cinquante ans."
Twyman - Stokes Award
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