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Real Madrid - "Arrête de faire le singe" : affaire Vinicius Jr, qu’attend l’Espagne pour agir contre le racisme ?

François-Miguel Boudet

Mis à jour 20/09/2022 à 11:47 GMT+2

LIGA - C’est une histoire de racisme ordinaire où la victime devient coupable de s’indigner. Pour ses pas de danse après la célébration d’un but, Vinicius Jr fait la triste expérience de l’édulcoration d’un fléau dont le football espagnol refuse de s’occuper depuis plus de 30 ans. Retour sur la polémique autour du joueur du Real Madrid, qui illustre la situation de l'autre côté des Pyrénées.

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"Si tu veux danser la samba, tu vas au Sambodrome, au Brésil. Ici, ce que tu dois faire, c’est respecter tes collègues et arrêter de faire le singe". Voilà comment Pedro Bravo, président de l’association espagnole des agents de footballeurs sur le plateau du Chiringuito, émission hautement dispensable mais régulièrement reprise, notamment en France car un bon raccourci exposé sur les réseaux sociaux vaut toujours plus qu’une réflexion étayée, a parlé de Vinicius Jr. Assis face à lui, Tomás Roncero, rédacteur en chef de la section Real Madrid à Diario AS, a beau lui rétorquer que de tels propos sont inadmissibles, son interlocuteur n’en démord pas.
La polémique a enflé. Vinicius Jr a lui-même répondu dans un message vidéo publié sur Twitter. Pedro Bravo s’est confondu en excuse, expliquant que c’était une métaphore pour dire que le Brésilien faisait l’imbécile. Sauf qu’il n’a pas dit "arrêter de faire l’imbécile" et que cela fait une grande différence. Quant à Josep Pedrerol, le présentateur de l’émission, pourtant si prompt d’ordinaire à distribuer les anathèmes, il n’a d’abord pas adressé d’excuses formelles. À peine s’est-il contenté de partager un hashtag #BailaVini (danse Vini) en retweetant la réponse du Brésilien. Ce n’est qu’après el eterno derbi remporté dimanche soir par le Real Madrid (1-2) qu’il a demandé explicitement pardon. Mais un pardon qui n’en est pas un et qui est même révélateur tant il est accablant.

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Car si, effectivement, en Espagne, "no hacer el mono" est une expression familière qui signifie "ne pas faire l’idiot", ces paroles ont un contexte et celui-ci est nié. Pedrerol s’en prend aux "vautours" et autres "geeks" des réseaux sociaux qui auraient monté la polémique en épingle et fustige "toute l’hypocrisie dans ce monde qui le dégoute un peu". C’est ce que l’on appelle l’inversion de la preuve : la victime aurait mal compris, la victime n’exagérerait-elle pas un peu quand même ? Et les soutiens de Vinicius seraient des rapaces, évidemment.
Pas comme si le Chiringuinto était ce qu’il y avait de plus populiste et de plus racoleur, un égout, paradis du "periodismo de bufanda" (rappelons que, concernant les célébrations "outrancières", Tomás Roncero avait pris la position exactement opposée quand il s’était agi de Neymar quand il évoluait au Barça), qui trouve toujours des échos sur les réseaux sociaux et des journalistes d’autres rédactions qui préfèrent ces relents nauséabonds plutôt que le recul et la réflexion. Pour Pedrerol et son émission, il n’y aura aucune conséquence : il y aura toujours plus d’un million de téléspectateurs en moyenne chaque soir et des millions de vues sur Twitch. Et peut-être même que Florentino Pérez, qui y a ses habitudes, oubliera vite ses menaces d’actions en justice pour y reparaître dans un futur proche.
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Vinicius Jr célèbre en dansant face à l'Atlético

Crédit: Getty Images

La victime est toujours coupable

Aux racines des propos de Pedro Bravo, il y a le match Real Madrid-RCD Mallorca. Vinicius inscrit un but superbe et danse comme il en a l’habitude. Insupportable pour Javier Aguirre, entraîneur de l’équipe baléare, qui demande à ses joueurs de casser le Brésilien, comme l’ont montré les caméras de l’émission El Día Después. Et au lieu de s’en prendre à Aguirre qui réclame de châtier un joueur qui donne des émotions, qui respire le football, qui ose, qui essaie, qui réussit, c’est Vinicius qui a été ciblé !
Jouer avec le sourire, donner du bonheur, danser, ça n’a pas sa place sur un terrain de football voyons ! Où avez-vous été éduqués, bande de malpropres ?! Mieux vaut s’en prendre aux artistes et fustiger le génie plutôt qu’un coach, certes historique en Liga, mais dont les préceptes de jeu sont morts avec le twist. Sans doute, quand il va au Prado, préfère-t-il s’extasier devant les extincteurs que devant les Velasquez… À une époque où tout est compté, scruté, empilé dans des tableaux Excel tellement remplis qu’ils en deviennent dénués de sens, c’est celui qui crée du déséquilibre, donne des frissons qui est cloué au pilori. Excusez-le d’être fabuleux, il ne sait pas ce qu’il fait.

Des clichés véhiculés et renforcés par la presse

En Espagne, ce genre de propos comme celui de Pedro Bravo, "expliqué" par Josep Pedrerol, est monnaie courante. Pas uniquement au comptoir d’un bistrot, mais aussi dans la presse. Ce racisme ordinaire à la Dupont Lajoie s’expose sans vergogne. En 2018, une partie des media sportifs a qualifié l’équipe de France de "première nation africaine championne du monde". Tous les clichés ont virevolté dans des écrits nauséabonds tendant à démontrer que la France avait ajouté une deuxième étoile uniquement grâce à la colonisation en Afrique et que c’était une concurrence déloyale.
Cet été, Marca a publié une une avec les joueurs du Real Madrid d’ascendance africaine ou supposée telle avec un décor de brousse en arrière-plan. Il ne manquait que Rafiki, Timon et Pumba. On est dans le racisme décomplexé et l’Espagne a un vrai problème avec ça, alors même que, par ses influences artistiques, elle est le fruit d’un syncrétisme religieux. Cette richesse réside précisément dans cette histoire séculaire. La mixité est constitutive de l’identité espagnole et, plus qu’ailleurs, le racisme est antinomique de la construction même et de l’héritage du pays.
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La Une de Marca "Africa Power" du 27 juin 2022 fait polémique (crédits : Marca)

Crédit: Other Agency

L’Espagne sur un air des Poppys

Les scandales liés au racisme en Espagne révèlent aussi une grande hypocrisie. Les clubs sont l’essentiel du temps sourds, aveugles et muets quand cela concerne leurs joueurs ou leurs supporters mais beaucoup plus vindicatifs quand il s’agit de l’un de leurs joueurs. Il n’y a aucune prise de conscience et ce n’est pas la campagne "Together vs Racism" organisée en mars dernier par LaLiga et EA Sports (!) qui fera avancer les choses.
Comment y croire quand on sait que Javier Tebas a présidé un groupuscule phalangiste ? Que l’enquête concernant les supposées insultes proférées par Juan Cala à l’encontre de Mouctar Diakhaby lors du Cádiz-Valencia de 2021, malgré la publication d’audios, a fait long feu ? Que lors de ce match, les Blanquinegros ont été menacés d’un forfait s’ils ne revenaient pas sur la pelouse, que c’est Diakhaby qui a été contraint de rester au vestiaire et que Cala, lui, est revenu sans problème et a continué par la suite à provoquer dans la presse et sur les réseaux sociaux le Franco-Guinéen ?
Depuis 30 ans, des incidents racistes ont lieu dans les gradins comme sur la pelouse. Pour Samuel Eto’o, Dani Alves, Iñaki Williams, Michael Malsa, Eder Militao, Carlos Akapo, Mouctar Diakhaby et tous les autres, c’est toujours le même refrain : arrêter le match, ce serait donner raison aux racistes. Se plier à la connerie reste la norme. Circulez, il n’y a rien à voir. Dimanche soir, à l’arrivée du bus du Real Madrid au Metropolitano, une partie des supporters de l’Atlético a chanté "Vinicius tu es un singe". LaLiga s’est saisie du cas mais quelles seront les conséquences concrètes de tels actes ? On est habitué à ce que rien ne se passe. Et on a tort de s’habituer car on finit par se résigner et il n’y a rien de pire.
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