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Formation - "Les clubs français ont de moins en moins conscience de ce qu'ils peuvent perdre"

Julien Pereira

Publié 23/06/2020 à 12:49 GMT+2

LIGUE 1 - C'est une inquiétude qui grandit au sein des clubs français. Ces derniers mois, plusieurs d'entre eux ont vu certains de leurs très jeunes joueurs quitter le cocon. Quelle est leur part de responsabilité dans ce phénomène ? Tentative de réponse avec Erick Noubissie, conseiller et représentant sportif de jeunes pousses du PSG ou de Nancy.

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Crédit: Getty Images

Erick Noubissie, on a le sentiment que les clubs français se font de plus en plus souvent piller leurs jeunes joueurs. Comment l'expliquer ?
Erick Noubissie : Il y a pas mal de paramètres qui font qu'effectivement, les clubs français ont du mal à garder leurs jeunes joueurs. On parle là de paramètres financiers : aujourd'hui, la France est l'un des seuls pays à avoir un organisme qui structure les finances des entreprises du foot, à savoir la DNCG. Cela a un impact considérable sur les salaires, les bénéfices et les dettes. Donc sur tout ce qui va leur permettre d'être compétitifs. L'imposition est également très élevée, tant pour les entreprises que pour les joueurs. Les clubs doivent composer avec de nombreux obstacles.
Mais n'est-ce pas problématique que le paramètre financier soit le plus important pour les jeunes ?
E.N. : Bien sûr. Beaucoup de décisions sont prises en fonction de l'aspect financier. Mais les clubs français ont aussi leur part de responsabilité. Avec une approche un peu plus réfléchie, ils pourraient conserver leurs jeunes joueurs même si, in fine, ils finiraient de toute façon par les perdre. Un joueur de talent, de 22 ans, avec un bagage d'une soixantaine de matches en L1, aura des propositions de partout. Mais là, ce serait du gagnant-gagnant, parce qu'il partirait avec une valeur marchande importante. C'est quand même très différent des cas que l'on peut observer aujourd'hui. Comme un joueur de 18 ans qui part parce qu'il n'a pas reçu de proposition de contrat pro avant le 30 avril… C'est ce qui pourrait se passer avec Ngoya à Lille par exemple. Là, ce serait juste un énorme raté. En Angleterre, le contrat est proposé au 31 décembre de l'année précédente.
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Comment expliquer le mode de fonctionnement des clubs français ?
E.N. : Les clubs français n'ont pas la capacité de miser sur la jeunesse. Globalement, leur politique est d'aligner des joueurs expérimentés leur permettant d'avoir plus de sécurité au niveau sportif. C'est aussi lié à la conjoncture économique : les clubs ont besoin de maintenir un certain niveau pour engendrer des bénéfices avec le classement, les droits TV, etc. Je pense qu'ils ont peur de prendre le risque de faire jouer des jeunes qui n'ont pas d'expérience et de passer à côté d'une saison. Ils vont donc privilégier les plus expérimentés qui, certes, coûtent plus cher, mais peuvent assurer une pérennité économique.
Pourtant, on a une impression contraire. On parle beaucoup de la Ligue des talents, de Mbappé, Camavinga…
E.N. : Mbappé, Camavinga, etc, ce sont des exceptions. Il y en a un ou deux par génération. Les projecteurs sont tellement braqués sur eux qu'on finit par croire que ces cas-là ne sont pas exceptionnels. Là, on parle de jeunes dont le potentiel est peut-être un peu moins important, mais qui ont le bagage pour jouer en Ligue 2 ou avoir du temps de jeu en Ligue 1. Il y en a énormément. La preuve : quand ils ne disposent pas d'un peu de temps de jeu en France, ces joueurs-là l'obtiennent à l'étranger, dans des championnats pourtant plus compétitifs que les nôtres.
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Crédit: Eurosport

Cela veut-il dire que le vivier français est devenu trop grand pour nos clubs ?
E.N. : On dispose de l'un des plus grands viviers au monde. C'est un avantage qui peut se transformer en inconvénient. Maintenant, les clubs français ont le luxe de pouvoir choisir et mettre de côté des jeunes de qualité. Du coup, ils ont de moins en moins conscience de ce qu'ils peuvent perdre. On fait attendre des joueurs très talentueux en se disant "de toute façon, si ce n'est pas lui, ce sera un autre". Et finalement, on se rend compte de la chance qu'on avait une fois le joueur parti, quand il devient titulaire dans un grand club ou dans une équipe première. Je peux vous donner un exemple concret : mon joueur, Thanawat Suengchitthawon, part signer à Leicester pour trois ans. Mais Nancy ne lui a même pas proposé de contrat pro.
C'est la raison pour laquelle les clubs étrangers sont beaucoup plus réactifs ?
E.N. : Par exemple, l'Angleterre et l'Italie ont conscience qu'elles n'ont pas un tel vivier. Dès qu'ils ont la possibilité de recruter un jeune de 17 ans en France, les Anglais le font. Le niveau de leurs catégories de jeunes U14 ou U16 est deux ou trois crans en dessous du nôtre. C'est considérable. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard s'ils ont beaucoup de joueurs étrangers en U23. Nous avons donc un problème de riche. Mais un problème de rigueur surtout.
Les clubs français sont-ils trop frileux ?
E.N. : Il faudrait qu'ils aient conscience qu'un contrat pro est une sécurité à la fois pour les joueurs mais aussi pour eux. Tout simplement parce que cela permet soit de les garder soit de les revendre. Mais aujourd'hui, en France, faire signer un contrat pro à un joueur de 17 ans est parfois vu comme une aberration. Alors que les clubs devraient plutôt réfléchir de manière sportive et économique. A cela, on peut aussi ajouter les problèmes causés par la loi qui fixe la durée maximum du premier contrat pro.
On a parfois la sensation qu'en France, clubs et agents se rejettent mutuellement la faute…
E.N. : J'ai dit que les clubs avaient leur part de responsabilité. Je n'ai pas dit qu'ils sont coupables à 100%. Je suis même d'accord avec eux sur ce point : certains agents sont dans l'abus. Mais je trouve aussi qu'il n'y a pas suffisamment d'échanges entre les agents et les clubs. Très souvent, les deux camps sont en conflit.
Que faut-il faire pour améliorer les relations entre les agents et les clubs en France ?
E.N. : Il faut plus d'échanges et surtout plus d’écoute. En France, il est extrêmement difficile d'entrer en contact et de discuter avec des représentants de clubs. Alors qu'à l'étranger, cela se fait très facilement. Par exemple, j'ai rapidement pu échanger avec le directeur sportif de Leicester. Je n'ai pas ressenti de froideur ou de distance. Mais de l'humilité et de l'efficacité. Si Thanawat Suengchitthawon part à l'étranger, c'est aussi parce que je n'ai eu aucune réponse de clubs français. Les clubs français communiquent mais ils ne le font qu'avec des gens qu'ils connaissent très bien. C'est pour ça qu'on dit que la L1 est un championnat d'agents. Dans les clubs, si l'agent n'est pas un "habitué", on ne veut pas en entendre parler.
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