Jeux Olympiques de Paris 2024 | Hervé Renard : "Dans 20 ans, on ne se rappellera pas de celui qui a bien joué"

Hervé Renard a entamé son dernier mois en tant que sélectionneur de l'équipe de France féminine. Deux jours après l'annonce de sa liste pour les Jeux Olympiques, le technicien de 55 ans a détaillé, pour Eurosport, certaines facettes de son management, son rapport au spectacle et son choix de ne pas prolonger l'aventure au-delà du tournoi olympique.

Renard : "Les JO en France, c'est ce pourquoi j'avais envie d'être là"

Video credit: Eurosport

Hervé Renard, vous avez annoncé lundi la liste des joueuses retenues pour disputer les Jeux Olympiques. Comment l'avez-vous annoncé à vos joueuses et surtout, comment l'avez-vous annoncé aux joueuses qui ne sont pas retenues ?
Hervé Renard : "J'ai changé un petit peu de procédé car on avait des obligations vis-à-vis du CNOSF. A 13h exactement, le CNOSF annonçait la liste. Et comme je ne voulais pas qu'il y ait trop de fuites, j'ai annoncé la liste aux filles à 12h50. Ensuite, j'ai vu les joueuses qui seront réservistes et les joueuses qui ne seront plus dans le groupe.
Comment l'ont-elles vécu ?
H. R. : Ce n'est pas facile. Mais ça fait partie de la compétition et du haut niveau. On n'est pas non plus là pour faire des sentiments, même s'il faut y intégrer une part importante dans la psychologie parce que ce n'est pas facile à vivre. Il y a deux choses très différentes : faire partie d'un groupe de 22, mais en tant que réserviste. Et ne plus faire partie du groupe. Là, c'est peut-être un petit peu plus dur. Parce qu'elles savent qu'après cette Ligue des Nations et le match en Irlande le 16 juillet, elles rentreront chez elles. Sauf petit souci de dernière minute…
Faire des listes, les défaire, l'annoncer aux joueuses… Pour un sélectionneur, est-ce une tâche ingrate ?
H. R. : Ça fait partie du métier et ça fait aussi partie des échanges qu'on peut avoir de façon très transparente avec les joueuses ou les joueurs. C'est un côté que j'apprécie, même si ça ne fait pas plaisir de rendre malheureuses des joueuses. Ce n'est évidemment pas le but recherché. L'objectif, c'est de faire la meilleure sélection possible pour aller décrocher quelque chose durant ces Jeux Olympiques.
Vous avez rappelé Eugénie Le Sommer, qui sort d'une blessure et d'une opération au genou… Un sélectionneur doit-il faire des exceptions avec des joueuses de ce statut ?
H. R. : On a un accord avec le staff médical de l'Olympique Lyonnais, la joueuse et le staff de l'équipe de France. À partir du moment où on rentre dans ce processus, il faut en accepter les tenants et les aboutissants. Eugénie est, pour l'instant, en phase de progression. Elle n'est pas à 100%, mais on l'a intégrée. On le fait avec certaines joueuses, mais pas avec toutes.
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Quel rôle pour Mbappé à l'avenir ?

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Eugénie, c'est un cas particulier. Même si elle n'était là que pour faire des bouts de matches… j'espère qu'au fil de la compétition, elle sera amenée à cumuler les minutes pour avoir la possibilité de démarrer un match. La réponse, on l'aura dans quelques semaines, mais je suis confiant. C'est une grande professionnelle. Elle a fait des efforts immenses pendant que les autres étaient en vacances. Elle était à Clairefontaine en train de continuer sa réhabilitation, son travail de course individuelle pour être fin prête quand le stage démarrait.
Vous avez gagné la CAN à deux reprises. Vous avez participé à des Coupes du monde masculines et féminines. Quelles places auront les Jeux Olympiques dans votre panthéon personnel ?
H. R. : Ce sera ma 11e phase finale de compétition [sept Coupes d'Afrique et trois Coupes du monde]. Ce sont mes premiers Jeux Olympiques. Donc, c'est quelque chose de très, très important. Qui plus est en France, avec le maillot de l'équipe de France, la Marseillaise qui retentit… Il y a beaucoup de choses particulières et c'est ce pourquoi j'avais envie d'être là. Maintenant, il faut les croquer à pleines dents, en essayant de terminer ces Jeux avec plein d'émotion. C'est ce qu'on vient rechercher. Pour certains athlètes, il y aura parfois des déceptions, mais il faut essayer de ne pas faire partie de cette catégorie-là.
Quel est votre plus grand souvenir à de Jeux Olympiques ?
H. R. : Mon tout premier souvenir, c'est Guy Drut en 1976 à Montréal. Je pense que ça avait eu un retentissement important pour le sport français. Et après, Marie-José Perec, les perchistes, Galfione, Quinon… Pour arriver jusqu'à Teddy Riner, les handballeurs. Il y a quatre ans, les sports collectifs féminins et masculins ont été exceptionnels.
Ça a été une razzia française avec beaucoup de podiums et des médailles d'or. Donc si ça s'est passé il y a quatre ans, il faut rééditer les mêmes choses. On est tous dans le "Team France", on représente ce pays. On est fiers de ce pays et on donner le maximum pour que le drapeau français soit représenté au mieux pendant ces Jeux Olympiques.
On dit souvent que les JO, c'est l'universalité. Vous avez entraîné en Asie, en Afrique, en Europe. Le management et tout ce qu'il implique (la communication, la gestion des ego…), est-il universel ?
H. R. : Il y a quand même des particularités liées aux cultures…
Donc il faut s'adapter ?
H. R. : Il faut toujours s'adapter. Quand vous allez dans un pays étranger, ce n'est pas aux autres de s'adapter. Même quand vous arrivez en France, il faut s'adapter. Le propre d'un manager, c'est de s'adapter à ses athlètes, à l'environnement, aux médias. Parce que les médias ne sont pas les mêmes en France qu'en Arabie Saoudite, par exemple. La langue, par exemple… C'est une chose à laquelle il faut faire attention même si on la maîtrise assez bien. Parce que chaque mot a son importance. 
Il y a un aspect de votre management dont on parle beaucoup, ce sont vos discours de mi-temps. Sont-ils préparés ?
H. R. : Les causeries d'avant-match sont préparées. C'est un fil rouge, puis du développement. Le développement se fait plus à l'instinct, plus au feeling, à la façon dont vous voyez vos joueurs ou vos joueuses réagir en face de vous. A la mi-temps, c'est un peu différent. C'est suivant le contexte, suivant le score. Parfois, il y a beaucoup de choses qu'on ne fait pas bien. Donc il faut avoir un discours un peu plus incisif, un peu plus tranchant. Chez moi, il y a beaucoup d'instinct, mais il y a aussi de la préparation.
Il y a un contexte un peu particulier en France. L'actualité politique a été assez lourde. Pensez-vous que ces JO tombent au bon moment pour…
H. R. : [Il coupe] Apporter un peu d'oxygène, on va dire. Je pense que c'est le terme exact. Même si on sait qu'il ne faut pas mélanger la politique et le sport. Mais aujourd'hui, quelque part, on est presque obligé, puisque déjà on est interrogé sur des sujets où beaucoup aimeraient qu'on botte en touche. Moi, je n'aime pas botter en touche : je fais du football, je ne fais pas du rugby.
J'espère que ces JO vont se passer de la meilleure des façons, parce que c'est un événement fantastique. C'est en France, on connaît la conjoncture mondiale actuelle… Il y a beaucoup de choses qui sont observées, vraisemblablement. Mais j'ai confiance en l'État pour que tous ces petits paramètres qui peuvent venir parasiter une immense fête, soient gérés et que tout soit bien maîtrisé. J'ai confiance là-dessus. Et je suis sûr que ce sera une très belle fête.
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Hervé Renard, sélectionneur des Bleues, avant le match de qualification pour l'Euro 2025 face à l'Irlande

Crédit: Getty Images

Préférez-vous bien jouer ou gagner ?
H. R. : Sans hésitation, gagner. Quand on est sportif de haut niveau, on est là pour gagner. Dans 20 ans, on ne se rappellera pas de celui qui a bien joué, on se rappellera de celui qui a gagné.
Quand vous entendez les plaintes des joueurs et des joueuses sur le rythme qui leur est imposé, ou les mots de Marcelo Bielsa selon qui le "football est en déclin"… êtes vous inquiet, vous aussi ?
H. R. : C'est une inquiétude qui émane de certaines alertes. Les joueurs ont le droit de le dire. Il ne faut pas leur répondre : "oui mais avec ce que vous gagnez…" C'est trop facile. Il faut prendre en considération la beauté du spectacle également. Et le spectacle, il ne peut être bon que si les joueurs sont en pleine forme physiquement. Le football est un sport qui est très demandeur et qu'on ne peut pas renouveler sans cesse tous les 3-4 jours, indéfiniment. Il y a un moment où la machine s'use, et c'est sans doute la même chose dans tous les sports. Donc il y a une limite, je pense, à ne pas dépasser.
Et vous pensez qu'on l'a atteinte ou dépassée cette limite ?
H. R. : On a peut-être atteint la cote d'alerte, oui, mais j'ai l'impression qu'on a envie d'aller au-delà. Et c'est là où certains tirent la sonnette d'alarme. J'espère que ce sera entendu. Dans les grandes instances internationales, il y a des anciens footballeurs. Il y en a beaucoup d'ailleurs. Ils savent de quoi ils parlent. Donc ils sont là pour aider les joueurs en activité. La mondialisation fait que tout devient un gros business. Et le football, c'est peut-être un des plus gros business qui puisse exister. Il ne faut pas tomber dans l'abus. M. Bielsa est un sage, et un pur, je dirais, "un fou de football". Lui, il voit le football dans son état brut. Donc il a sans doute raison. Il faut s'en alerter.
Vous avez annoncé relativement tôt que les Jeux Olympiques seraient votre dernière compétition à la tête de l'équipe de France féminine. Avez eu peur qu'on vous colle une étiquette et que retourner au foot masculin soit plus difficile après ?
H. R. : Ça peut faire partie des paramètres. Ce n'est pas le seul, mais ça peut en faire partie. Pourquoi je l'ai dit si tôt ? C'est par honnêteté. Parce que j'ai considéré que le choix de mon successeur ou de ma successeure, pouvait se porter sur un entraîneur ou une entraîneure actuellement en poste. Les saisons se terminent au mois de mai ou de juin. Si cette personne se réengageait, on m'aurait reproché de l'avoir annoncé trop tard. Donc je l'ai fait par honnêteté sportive et pour rien d'autre. Peu importe ce qu'on dit. Je pense que j'ai bien agi. Ça permet à l'équipe de France féminine de s'organiser pour la suite. Tout se passera bien. Le meilleur reste à venir pour le football féminin français.
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Et maintenant, comment reconstruire ?

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Comment avez-vous annoncé votre décision à vos joueuses ? Et comment l'ont-elles vécue ?
H. R. : Je ne l'ai jamais annoncé aux joueuses. Mon devoir, c'est d'annoncer à la Fédération, qui m'emploie. Les joueuses en ont pris connaissance via les médias. Mais quelque part, le plus important pour elles, c'est qu'il y ait un cadre de travail et un staff très compétent qui permettent d'assurer une continuité. Ceux qui vont me succéder, je suis certain que ce seront des personnes très compétentes et qui vont continuer sur l'élan qui vient d'être donné par la fédération française de football avec la ligue nationale de football féminin présidée par Jean-Michel Aulas. Rien que son nom me fait dire que le football féminin est sur de bons rails.
Ça veut dire que s'il y a la médaille d'or pour les Bleues, ça ne changera rien ?
H. R. : Non, ça ne changera rien. Ça serait la plus belle chose qui puisse arriver au football français féminin, mais ça ne changera rien du tout. C'est comme ça. C'est décidé et je ne changerai pas d'avis. Et puis, je pense que c'est bien comme ça.
Que garderez-vous de cette expérience ?
H. R. : Une super expérience. Une expérience nouvelle avec des paramètres différents dans le management, car il y a une plus grande émotivité chez les femmes, une approche différente, un management différent. Ca va m'apporter beaucoup. J'ai rencontré des filles très professionnelles qui sont déterminées, qui savent ce qu'elles veulent. Et rien que ça, ça a été un plaisir immense. Maintenant, il nous reste quelques semaines. Donc, à nous de bien les terminer ensemble. Après, je serai le premier supporter de cette équipe de France féminine."
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Renard : "C'est la raison principale pour laquelle je suis venu dans ce football féminin"

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