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Liverpool - West Ham (Premier League, 12e journée) : Les Reds, ou la myopie du football

Philippe Auclair

Mis à jour 19/10/2022 à 12:14 GMT+2

PREMIER LEAGUE – Liverpool, qui reçoit West Ham mercredi (20h30), connaît un début de saison délicat malgré sa victoire face à Manchester City (1-0) dimanche dernier. Son entraîneur, Jürgen Klopp, a ainsi été contesté, quelques mois seulement après avoir échoué de peu dans la quête d'un fabuleux quadruplé. La preuve que le présent n'a pas toujours raison.

"Grâce à Anfield, Liverpool a montré comment jouer face à City"

Le football souffre de myopie. Nous le vivons dans une temporalité de plus en plus restreinte, dans laquelle il n'existe plus que le flux d'un présent continuellement recommencé, de match en match, de rumeur en rumeur, de 'crise' en 'crise'. La vérité d'un week-end est oubliée le suivant. Au lieu de former notre jugement dans un continuum, en s'appuyant sur ce qui a été pour comprendre ce qui est, nous tombons sous la coupe de la perception immédiate, prêts à accepter ce que nous nions l'instant précédent, et inversement.
Voilà comment, depuis quelques semaines, on a pu parler le plus sérieusement du monde d'un 'déclin' de Liverpool. On a évoqué les cycles de sept saisons, dont la septième serait immanquablement la dernière, qui seraient propres à la carrière de Jürgen Klopp. Un numérologue se reconnaitrait dans cette 'logique'.
Ce qui se passa à Mayence (sept ans, et puis s'en alla) s'est aussi passé à Dortmund (idem) et se passera donc à Liverpool, où Klopp vient de fêter son septième anniversaire. Nous sommes si superstitieux en football. Tel joueur doit impérativement chausser son pied droit le premier; et le chiffre sept, associé au manager allemand, ne peut manquer lui être fatal. C'est absurde, mais c'est ainsi.

Mayence et Dortmund, pas la même histoire

Un peu d'histoire. A Mayence, Klopp s'en alla au terme d'un septennat pendant lequel le club, dont le budget était parmi les plus modestes de la Bundesliga, parvint, mais pas de suite, à se hisser dans l'élite. Il y demeura trois saisons, ce qui constituait un authentique exploit, après quoi il retrouva la deuxième division. Klopp resta en place malgré la relégation; et quand il ne put assurer une nouvelle montée, il démissionna, comme il avait annoncé qu'il le ferait s'il échouait dans sa mission. Il 'échoua' - de deux points.
Il savait aussi que ce qu'il avait accompli avait séduit les dirigeants du Borussia Dortmund, et que le moment était venu de se tester dans un club plus ambitieux : ce n'est pas un cycle qui s'achevait, c'est un autre qui commençait. Quoi de comparable avec ce qui se passa au BVB ? Rien.
A Dortmund, ce n'est pas - pas seulement - une série de mauvais résultats (*) qui motiva son départ, un départ qu'il initia de son propre chef, encore une fois, et dont la raison la plus profonde était son désaccord avec la politique de recrutement du club, qui avait laissé partir Mario Götze et Robert Lewandowski contre ses voeux.
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Un soutien sans faille

Parler de 'cycles' n'a rien d'absurde en soi. Le légendaire entraîneur hongrois Béla Guttman, double champion d'Europe avec Benfica, assurait qu'un manager avait une durée de vie de trois ans, pas plus; mais ces cycles ont autant à voir avec les capacités de renouvellement d'un groupe qu'avec l'usure qu'un séjour trop prolongé peut provoquer dans une équipe.
Certains entraîneurs en font un modus operandi, comme José Mourinho et Antonio Conte de nos jours, techniciens 'usants' s'il en est. Klopp, lui, est fondu dans un autre moule, tout aussi exigeant, mais bien plus souple. Il est aussi dans un club qui l'a soutenu et continue de le soutenir et s'appuie sur des joueurs qui n'ont pas perdu la confiance qu'il inspire en eux.
Quiconque en douterait n'aura qu'à regarder à nouveau une victoire sur Manchester City que très peu attendaient ce weekend. Le public ? Comme l'a dit Jamie Carragher, "demandez à n'importe qui qui est dans ce stade (Anfield) s'ils souhaiteraient que ce soit un autre que Klopp qui soit leur manager, et la réponse sera la même. Nous voulons qu'il reste, le plus longtemps possible". Or, pour la première fois de sa vie à pareil stade de sa carrière dans un club, Klopp s'est engagé à demeurer au delà des fameuses sept années, jusqu'en 2026.
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La ressemblance avec 2020-21

Tout ne va pas pour le mieux à Liverpool, c'est certain. Le titre est déjà hors de portée. La façon dont les Reds s'écroulèrent face à Manchester United n'a toujours pas été digérée. Le Liverpool de 2022-23 cherche encore ses marques, un jour en grande difficulté face au promu Fulham, un autre irrésistible, comme Bournemouth et les Rangers en ont fait les frais; et trop souvent entre les deux, incertain, fragile, pas encore à l'aise dans sa nouvelle peau.
L'accusé Klopp peut néanmoins invoquer des circonstances atténuantes. Si on le compare à celui de Manchester City, l'effectif dont il dispose n'a rien de pléthorique, particulièrement en milieu de terrain. Qu'un ou deux joueurs-clé soient en méforme, comme Salah le fut jusqu'à récemment, ou simplement un rien en retrait, comme ce fut le cas de van Dijk jusqu'à son récital contre City, et l'effet s'en fait immédiatement sentir. Et là, ce ne sont pas un ou deux joueurs qui ont été stoppés, mais plus d'une demi-douzaine.
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Thiago Alcantara, l'horloger de cette équipe, se blessa dès la première journée, lui dont l'absence est la plus lourde de conséquences pour les Reds, comme on l'avait dit ici-même dès le mois d'août. Diogo Jota, touché à la cuisse, avait manqué les cinq premières journées de championnat, et le voilà à nouveau indisponible, Dieu sait jusqu'à quand. Luis Diaz ne reviendra pas avant le Boxing Day. On est toujours sans nouvelles de Naby Keita et d'Alex Oxlade-Chamberlain. Trent Alexander-Arnold traverse une période de doute toute personnelle. Konaté, Matip ont eux aussi flanché. Arthur Melo a dû être opéré au début du mois. Darwin Nuñez, qui vient tout juste d'arriver, a dû purger une suspension de trois matches. Et Sadio Mané n'est plus là. Ça fait beaucoup, ça fait trop.
Mutatis mutandis, Liverpool revit sa saison 2020-21, ce que personne ne semble vouloir relever, quand les blessures et la COVID s'acharnèrent sur les Reds. Trois victoires - et huit défaites - en quatorze matches entre le 27 décembre et le 7 mars, douze points sur quarante-deux possibles, une catastrophe. C'est un peu par miracle et beaucoup grâce à l'épuisement d'Arsenal que Liverpool finit troisième cette saison-là. Cela n'empêcha pas la suivante d'être magnifique. Aurait-on également déjà oublié comment Liverpool passa tout près d'un quadruplé il y a quelques mois de cela seulement ? Il semblerait que oui.

Six places gagnées dans une semaine ?

C'est qu'en entrant dans l'âge de la super-élite, en Angleterre comme dans le reste des grands championnats, on en est venu à normaliser ce qui, lors du presque siècle et demi qui l'a précédé, aurait paru aberrant. On s'attend désormais à ce que le champion d'Angleterre flirte avec les 100 points. Une série de dix victoires consécutives n'a plus rien d'exceptionnel. Manchester City en aligna quatorze en 2018-19 et quinze en 2020-21, Liverpool dix-huit en 2019-20. On n'en attend pas moins d'un grand club - par quoi on entend Manchester City et son seul véritable rival lors des cinq dernières saisons, Liverpool, qui est pourtant loin de disposer de ressources comparables à celles des Cityzens, comme Jürgen Klopp n'avait certainement pas tort de le rappeler.
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Jurgen Klopp et Pep Guardiola

Crédit: Getty Images

Ceci est absurde, et ce qui l'est encore plus est que nous ayons assimilé l'ordre nouveau comme s'il était naturel, au point de tout voir à travers le prisme des 'super clubs' - ou de ce que nous attendons d'eux, quand leur logique ne peut s'appliquer qu'à une poignée d'entre eux.
Quand le grand Liverpool des années 1980 fut sacré champion quatre années sur cinq, entre 1981-82 et 1985-86, ce fut en concédant un minimum de six défaites par saison. En 1983-84, quand il fut aussi champion d'Europe, il n'acquit le titre avec 80 points - dans un championnat à vingt-deux clubs, soit l'équivalent de 72 points dans le contexte actuel (*).
Et 72 points serait très exactement le total des Reds au terme de 2022-23 s'ils remportaient leurs deux prochains matches (à domicile contre West Ham ce mercredi, et sur le terrain d'un Nottingham Forest en perdition dimanche) et continuaient à ce rythme jusqu'au terme de cette campagne. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que Liverpool, douzième avant sa victoire sur City, grimpe de six places ou plus au classement d'ici moins d'une semaine. Qu'écrira-t-on alors ?
Quant au Manchester United de 1998-99, celui du triplé, la "meilleure équipe de l'histoire de la Premier League" pour certains, c'est avec 79 points qu'il devint champion. Leicester en 2015-16 ? 81 points.
Non, cette histoire-là n'est pas si ancienne que cela, et quand nous la gommons de notre perception, nous nous aveuglons nous-mêmes. Le présent n'a pas toujours raison.
(*) Dortmund finit septième, parvint en huitièmes de la Ligue des Champions et en finale de la Coupe d'Allemagne.
(*) Un total suffisant pour accrocher la C1 en 2021-22, mais à vingt-et-une longueurs du champion Manchester City.
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