Coupe du monde 2023 - Nouvelle-Zélande - Afrique du Sud : Jordie Barrett, comment le 3e frère s’est rendu indispensable

Dans la famille Barrett, il y a bien sûr Beauden. Demi-d’ouverture ou arrière génial doté de jambes de feu, le cadet de la fratrie (l'aîné, Kane, a arrêté sa carrière à 25 ans) a été élu meilleur joueur de la planète rugby en 2016 et 2017 et reste incontournable au sein des All Blacks. Au même titre que Scott, qui a pris l’habitude de briller dans un registre très différent, lui le deuxième-ligne clé de voûte du pack d’avant et rugueux au plaquage (parfois trop d’ailleurs). Et puis, il y a Jordie, le benjamin. Qui a mis un peu plus de temps que ses frangins à trouver sa place.

Non pas qu’il manquait de talent, bien au contraire. Seulement, sa polyvalence en a fait un élément baladé un peu partout, tantôt ouvreur, tantôt ailier, et souvent arrière. Mais c’est au poste de premier centre - façon "cinq-huitième" - que le joueur de 26 ans s’épanouit désormais. Il y est devenu un titulaire inamovible en sélection et ses performances, depuis le début du Mondial, tendent à démontrer que c’est bien là qu’il est le meilleur. C’est là qu’il est le plus précieux, aussi, pour la Nouvelle-Zélande.

À l’origine, ce repositionnement fructueux - qui permet dans cette Coupe du monde d'aligner Beauden Barrett (n°15) et Richie Mo'unga (n°10) ensemble - est à mettre au crédit de Jason Holland. Confronté à des forfaits liés au Covid-19, le manager des Hurricanes a décidé d’inscrire le nom de Jordie Barrett à côté du n°12 à l’occasion d’un match face aux Chiefs, le 3 avril 2022. Malgré une courte défaite (29-30), le natif de New Plymouth s’est montré très à son aise dans ce rôle de premier centre, qu’il n’avait plus occupé depuis 2019 en carrière mais auquel il était habitué plus jeune.

L’intéressé semblait d’ailleurs ravi à l’idée de retrouver un place dans le cœur du jeu. "Je pense que le n°12 est la position la plus confortable pour moi, avait-il ainsi déclaré devant la presse avant ce match contre les Chiefs. Cette semaine, à l’entraînement, je ne m’y suis pas senti maladroit, ce qui est une bonne chose." Sa prestation a été tellement convaincante que son coach a choisi de ne plus le changer de place sur le terrain. Elle n’a pas, non plus, manqué d’interpeller Ian Foster. Le sélectionneur néo-zélandais a suivi le mouvement impulsé par son confrère de la franchise de Wellington. Ainsi, dès le Rugby Championship 2022, Barrett a été associé à Rieko Ioane au centre.

Si les Blacks étaient alors loin de leur meilleur niveau, vivant une année noire en termes de résultats (défaites contre l’Argentine et l’Irlande à domicile, notamment), cette nouvelle paire a pu enchaîner et prendre ses repères. "Je reviens en quelque sorte à ce que je connais et à ce que j’ai toujours fait quand j’étais enfant", a affirmé Barrett début 2023, dans un entretien accordé à SENZ Breakfast. Avant d’ajouter : "À ce poste, vous avez moins de temps. Il y a plus de collisions, beaucoup sont frontales et vous êtes dans une zone de transition où il faut être à la fois bon en défense et en attaque."

Au-delà de prendre davantage de plaisir, en touchant plus souvent le ballon, en faisant valoir la qualité de ses passes et celle de son jeu au pied, le joueur des Hurricanes se révèle être un atout précieux pour "arrêter l’équipe adverse dans son élan", comme il l’a lui-même imagé. Du haut de son 1,96 m, il ne fuit pas ses responsabilités défensives. À l’image de son frère Scott, c’est une véritable machine à plaquer, dont on a réellement pris la mesure grâce à son repositionnement. À l’aile ou à l’arrière, Jordie Barrett était, en quelque sorte, sous-exploité. Dans l’entrejeu, il peut pleinement exploiter tout son potentiel. Offensif, comme défensif.

Et cela n’est pas passé inaperçu. Forfait lors du match d’ouverture du Mondial contre la France, le n°12 des All Blacks n’a pas mis longtemps à rappeler qu’il était incontournable dans le rôle qui est désormais le sien depuis un peu plus d’un an. En témoignent ses performances plus qu’abouties contre l’Irlande en quart (24-28) et, surtout, face à l’Argentine en demie (44-6), une rencontre terminée avec le titre d’homme du match. "Je lui ai dit qu’il avait probablement fait son meilleur match défensif, a souligné Will Jordan après la victoire contre les Pumas. La semaine dernière (en quart, ndlr), on devait absolument rester connectés et ne montrer aucune faiblesse. Vendredi soir, quand les Argentins ont relancé de loin, il a très bien anticipé les choses."

"Il a été immense en défense, c’est lui qui a tenté le plus de plaquages", a abondé Scott McLeod, l'entraîneur de la défense néo-zélandaise, qui a en outre précisé que "c’est avec lui que j’échange le plus concernant la défense des lancements sur les phases de conquête." Aussi à l’aise pour boucher les espaces que pour mettre la pression, Jordie Barrett s’appuie sur une large palette pour annihiler les offensives adverses. Son pouvoir de nuisance sera de nouveau mis à l’épreuve samedi soir (21h), face à l’Afrique du Sud. On n’ira pas jusqu’à dire que l’issue de la finale reposera sur ses épaules mais, si victoire il y a, le benjamin des Barrett n’y sera sans doute pas pour rien.