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Aux origines du phénomène Jannik Sinner, à Sesto Pusteria : "Il aurait pu devenir un très grand skieur"

Guillaume Maillard-Pacini

Mis à jour 15/02/2024 à 13:32 GMT+1

Entré dans une nouvelle dimension en Italie depuis son sacre à Melbourne, Jannik Sinner a retrouvé les courts à Rotterdam, où il affronte Gael Monfils jeudi. Pour l'enfant des Dolomites, né à quelques kilomètres de la frontière autrichienne, dans la station de sports d'hiver de Sesto Pusteria, l'histoire aurait pourtant pu s'écrire différemment. Mais pas son destin, celui d'un grand champion.

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En ces derniers jours de janvier, l'air est froid et triste à Sesto Pusteria, petit village d'un peu moins de 2 000 habitants situé dans la zone Tre Cime (Dolomites). Là-bas, dans l'Alta Pusteria près de la frontière autrichienne, on pleure la famille Tschurtschenthaler, décimée après un tragique accident de la route survenu le 22 janvier dernier dans la commune autrichienne d'Assling. Tout Sesto est présent aux funérailles de Monika Stauder (47 ans) et ses deux fils Matthäus (7 ans) et Kassian (10 ans).
En larmes, Christian Tschurtschenthaler, le mari de Monika et le père des deux enfants, prend la parole : "Je ressens votre douleur, votre présence et votre amitié, mais surtout votre proximité dans la période la plus sombre de ma vie. Votre force m'aidera à commencer une nouvelle vie. Pensez à nous et priez pour nous. Monika, Matthäus et Kassian seront les trois anges qui me donneront la possibilité de recommencer et surmonter l'obscurité."
Face à cette tragédie, le maire de Sesto Pusteria Thomas Summerer décide alors de suspendre toutes les festivités prévues pour Jannik Sinner. Même l'enfant du pays, devenu grand à Melbourne après son succès historique à l'Open d'Australie, préfère se faire petit. "Mon village vit une tragédie, déclare-t-il en conférence de presse à Rome après son retour triomphal. Un accident avec trois morts, dont deux enfants très jeunes. Je ne veux pas y revenir pour cette raison, ce n'est pas du tout le moment des festivités." Il viendra. D'ici quelques semaines ou mois, mais il viendra. En temps voulu.
"Nous sommes en train d'organiser quelque chose, mais nous ne connaissons pas encore la date, indique Thomas Summerer à Eurosport. C'est difficile de savoir avec son calendrier et les tournois au programme. S'il gagne partout où il est engagé, alors cela deviendra difficile (rires). Mais nous prévoyons des événements, notamment avec des enfants pour qui Jannik est devenu une idole. Lors de la finale à Melbourne, les gens se sont quand même réunis, avec beaucoup de sobriété mais aussi de joie. Aujourd'hui, nous sommes en étroite collaboration avec son équipe et son management. On veut honorer notre champion, il mérite bien ça pour l'exploit qu'il a réalisé. Et dire que c'est ici que tout a commencé, et sur des skis..."

Au ski, Sinner était déjà le meilleur

L'histoire est notoire. Avant de dédier sa vie à la petite balle jaune, c'est sur une paire de skis que Sinner faisait partie des meilleurs espoirs italiens. Entre huit et douze ans, il dévale les pistes de Sesto. Et il adore ça. "Jannik ne s'arrêtait jamais. Après un entraînement, il voulait tout de suite en faire un autre", se remémore le maire.
"Ses parents ont voulu que je le suive un moment, rembobine Klaus Happacher, l'un des anciens professeurs de ski du petit Sinner. C'était un garçon exceptionnel. Il comprenait tout avant les autres, et parvenait à le mettre en application lors de ses courses. Jannik faisait du slalom et du géant. Je me souviens de l'une de ses victoires à Sestrières, c'était incroyable. A l'entraînement, il ne voulait jamais s'arrêter. Même quand il semblait fatigué, il disait : 'Non non, je continue !'. Et une fois terminé, il aidait le staff à ranger le matériel, tracer les parcours... Il savait déjà ce qu'il voulait. Vraiment, c'était un enfant exceptionnel. Je n'ai jamais connu quelqu'un comme lui dans ma carrière. Jamais, jamais, jamais."
"Il aurait pu devenir un très grand skieur, sans le moindre doute, poursuit Happacher. Jannik faisait tout ce qu'il fallait faire pour l'être. C'était un talent unique, partout où il passait. Foot, ski, tennis... Tout lui réussissait. Chacun de ses mouvements était le bon, tout le temps. Soit il gagnait des médailles, soit il était dans les premiers." A son palmarès, notamment : un titre de champion d'Italie en 2008 (catégorie benjamin) et celui de vice-champion d'Italie en 2012 de slalom géant.
Vous ne voyez que des portes rouges et bleues
Mais ses qualités étaient-elles transposables d'un sport à l'autre ? "Je pense que dans le tennis, la 'force rapide' est très importante, répond notre interlocuteur. Elle sert aussi au ski, même si elle est logiquement plus freinée. Quand l'hiver arrivait, ses professeurs de ski lui disait toujours qu'il reviendrait encore meilleur au printemps. Cette force, des jambes au bras, doit toujours être utilisée de manière visée, jamais dans le vide. Dans le ski et surtout le tennis. Sans parler du mental et de la concentration."
Entouré de deux parents "exceptionnels", comme confirmé par nos deux contacts, Sinner a toujours été libre de ses choix. Alors, du haut de ses treize ans, il décide de quitter ses montagnes natales pour rejoindre l'académie de Ricardo Piatti, formateur respecté du tennis italien, à Bordighera, sur la côte ligure. Il faut croire que la raquette reçue par son père à trois ans à peine a fini par faire pencher la balance. Ses deux entraînements de tennis par semaine aussi.
"Le ski, c'était dangereux, déclarera le principal intéressé quelques années plus tard. Une mauvaise chute peut hypothéquer une saison entière. Le tennis, vous pouvez y jouer toute l'année. Mais le plus important, c'est qu'au tennis, vous voyez votre adversaire. Vous pouvez voir qui vous affrontez. Vous savez si vous êtes devant au score, ou derrière, si vous allez devoir changer quelque chose ou pas. En ski, vous descendez tout seul et vous ne savez pas si vous êtes plus rapide ou plus lent que les autres, vous ne voyez que des portes rouges et bleues, et vous faites des virages en espérant ne pas tomber."

Des parents que tout le monde aime

"La base de son succès, c'est ses parents, lâche Thomas Summerer. Il y a évidemment le talent, qui est essentiel pour réussir au très haut niveau. Mais l'éducation reçue, les valeurs inculquées... Sinner est devenu la personne que tout le monde connaît grâce à eux. Ce sont deux personnes simples et normales. Le papa cuisinier, la maman serveuse. Ils ont toujours laissé à Jannik la liberté de choisir ce qu'il voulait faire. Son père venait au ski avec lui, puis au tennis. Cela permettait d'être au plus près de lui, de voir ses envies, ses problèmes... Il n'avait aucune pression ou obligation. Le dernier mot lui revenait." "Les parents suivaient toujours la volonté de Sinner, emboîte Happacher. Ce sont deux travailleurs qui ne cherchaient aucune excuse, ils donnaient toujours des coups de main. Le succès de Jannik n'a rien changé à leur vie, ce sont toujours les mêmes. Ils sont toujours aussi disponibles pour parler et discuter. Ils ont les pieds sur terre."
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Jannik Sinner e il suo team dopo il trionfo agli Australian Open

Crédit: Getty Images

Après son année 2023 mémorable, ponctuée d'une finale au Masters et d'une Coupe Davis ramenée en Italie, et un début 2024 d'ores et déjà historique, le 4e mondial a propulsé, par ricochet, son village de 1 800 âmes dans la lumière. Les touristes, qui affluent depuis début décembre comme chaque saison, n'hésitent plus à demander aux habitants où se trouve la maison des Sinner. "On ne peut pas dire que nous avons une invasion de touristes, corrige toutefois le maire. Mais il y a beaucoup de gens qui demandent où le joueur habite, où les parents ont leurs habitudes pour avoir une chance de les croiser." "Tout le monde le cherche, certaines personnes n'hésitent pas à sonner chez lui, rapportait Andreas Schönegger, premier professeur de ski de Sinner, au site altoadige.it. Il faut respecter la vie privée. Jannik est comme nous tous, et il veut être traité de cette manière." Du côté des commerçants, on se félicite des possibles répercussions positives de la "Sinnermania" sur le tourisme.

Bientôt une rue Jannik Sinner ?

De la normalité, Sinner en dégage lors de chacune de ses sorties. Sur les courts comme dans les médias. Rien ne semble pouvoir altérer sa douceur, sa gentillesse et sa politesse. C'est aussi pour ça que tout le monde l'aime. Au village comme au pays. Sa popularité est grandissante, et il n'est plus rare de le voir comparé aux plus grands sportifs italiens de l'histoire. De Marco Pantani à Federica Pellegrini. D'Alberto Tomba à Valentino Rossi. Le très célèbre festival de Sanremo a bien tenté de l'attirer sur la scène du Théâtre Artiston la semaine passée. En vain. "Ce n'est pas ma place", s'était-il justifié, assurant devoir "s'entraîner" à cette période de l'année. Une décision saluée et appréciée par l'opinion publique.
"Il n'a pas changé, salue Happacher. Son tempérament est resté le même, calme mais déterminé, perfectionniste comme compétiteur. Je me souviens que quand il était enfant, il disait toujours que peu importe le sport qu'il choisirait, il voulait devenir le meilleur. C'était un prédestiné. Et il a tout fait pour arriver tout là-haut. Cela doit être un exemple pour tout le monde. Quand il revient ici à Sesto, il vient toujours nous saluer. Pour tout le monde, c'est un succès énorme d'avoir le futur meilleur joueur du monde ici."
"Mais cela ne changera rien à sa normalité et sa simplicité, prévoit Summerer. Il le dit toujours en conférence de presse. Pour lui, le plus important est son équipe, que chacun se sente bien et important dans son rôle. Et arriver ainsi à atteindre les objectifs fixés. Jannik a toujours eu cette discipline, cette volonté du sacrifice, comme quand il a quitté sa famille pour réaliser son rêve. C'était très difficile pour lui, et il n'a jamais oublié cette période. Cela a forgé son caractère et son tempérament. Grâce à tout ça, comment voulez-vous qu'il oublie d'où il vient ? Et grâce à lui, l'école de tennis est maintenant en plein 'boom'. Jannik reste et restera l'enfant de Sesto." Au point de se voir dédier une rue dans un avenir plus ou moins proche ? Ce n'est pas à exclure, nous indique le premier édile.
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Jannik Sinner

Crédit: AFP

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