Wimbledon 2025 / simple messieurs – L'un marche dessus, l'autre joue avec : Sinner - Alcaraz, deux conceptions opposées du tennis sur gazon
Mis à jour 13/07/2025 à 14:32 GMT+2
Jannik Sinner et Carlos Alcaraz, qui se retrouvent encore ce dimanche pour une finale de Wimbledon très attendue, cultivent une relation très différente avec le gazon. Si l'Italien a mis du temps à y faire adhérer son tennis de rouleau compresseur, l'Espagnol est tombé tout de suite amoureux d'une surface à laquelle il adapte naturellement son jeu créatif.
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Au-delà de son contexte historique et de ses enjeux importantissimes, cette première finale de Wimbledon entre Jannik Sinner et Carlos Alcaraz s'annonce, déjà, comme une véritable curiosité tennistique : comment les deux meilleurs joueurs du monde, qui se connaissent par cœur et qui viennent tout juste de disputer, à Roland-Garros, un match de légende qui s'est joué sur un fil, vont-ils s'ajuster tactiquement sur une surface radicalement opposée dont ils se font tous deux une conception bien différente ?
De la réponse à cette question dépendra en grande partie l'issue du match. Mais ce qui est d'ores et déjà sûr, c'est que les deux hommes sont encore plus opposés sur gazon qu'ils ne le sont partout ailleurs. Des deux, on eût pu penser que l'Italien, à l'aise sur surfaces rapides, adepte d'un tennis plus percutant et de coups plus à plat, doté d'un déplacement sur coussin d'air et digne héritier de Novak Djokovic, aurait pu faire un herbivore plus naturel par rapport à un Carlos Alcaraz qui semble, de par sa nationalité et son style plus musculeux, camper davantage le rôle du terrien patenté.
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Dans les faits, il n'en a rien été. Le numéro un mondial a mis longtemps à adhérer au gazon, et ses premiers pas sur cette surface ont un peu ressemblé à ceux d'un girafon à la naissance. S'il s'était certes extirpé des qualifications lors de son premier tournoi sur herbe à 's-Hertogenbosch en 2019, il y avait ensuite perdu six matches consécutifs avant de trouver enfin la clé à Wimbledon en 2022, où il avait atteint les quarts de finale en battant au passage… Carlos Alcaraz en huitièmes, dans ce qui reste à ce jour la seule confrontation sur herbe entre les deux hommes. "Au début, je n'arrivais pas à comprendre comment bouger sur cette surface", s'amusait-il à rappeler vendredi après son succès en demies contre Novak Djokovic.
Il est clair que les choses ont bien changé depuis. Si le tennis de Sinner sur gazon n'a rien de révolutionnaire, la façon dont il s'y déplace, en revanche, a quelque chose de fascinant. Et même d'impressionnant. Fini Bambi sur la glace : à la manière dont il glisse dans tous les coins du court et s'engouffre dans chaque interstice de pelouse sans jamais ou presque (remember contre Dimitrov…) perdre l'équilibre, sans jamais ou presque perdre de la vitesse, on dirait plutôt un skieur qui s'engage à corps perdu dans la descente de Kitzbühel. Vertigineux. Sinner ne cherche pas à s'adapter au gazon. Il marche littéralement dessus, façon tondeuse à gazon. Il est comme Attila : là où il passe, l'herbe ne repousse pas.
Sur gazon ou ailleurs, pour Sinner, c'est exactement la même chose : il joue avec ses forces, avec un côté mécanique.
"Que ce soit sur gazon ou ailleurs, pour lui, c'est exactement la même chose : il joue avec ses forces, qui sont au-dessus de tout le monde, avec un côté mécanique, rouleau compresseur, observe notre consultant Nicolas Escudé, quart de finaliste à Wimbledon en 2001. Il slice très peu en revers, parce qu'il a développé un jeu où l'utilisation du slice n'a pas vraiment sa place, d'autant plus côté revers où il est extrêmement solide. Il est collé à sa ligne et il avance sans cesse en cherchant à prendre l'adversaire de vitesse, à lui marcher dessus. Dans ce schéma-là, pour l'instant, il ne voit pas l'utilité du slice. Cela viendra peut-être, avec le temps."
Alcaraz, lui, a très vite "matché" avec le gazon, en y jouant pourtant beaucoup moins que Sinner à ses débuts. En 2022, année de son explosion au plus haut niveau, sa défaite contre son rival italien à Wimbledon était passée pour un (petit) coup d'arrêt, peut-être parce que l'on n'avait pas assez souligné, à l'époque, qu'il disputait seulement le deuxième tournoi de sa vie sur gazon. Dès les troisième et quatrième, l'année suivante, il avait scoré : victoire au Queen's, et victoire à Wimbledon ! "Je savais que j'en baverais sur terre battue contre toi, mais je n'imaginais pas que ce serait aussi le cas sur gazon", lui avait lancé sa victime en finale à Londres, Novak Djokovic, soufflé par la capacité d'adaptation du gamin.
Aujourd'hui, Carlos Alcaraz sur gazon, c'est 35 victoires pour seulement trois défaites (trois petites défaites !). Soit plus de 92% de victoires. Personne, dans l'ère Open, ne connaît un ratio de succès aussi élevé sur herbe. Pas même Roger Federer (86,9). Pas même John McEnroe (85,8). Pas même Novak Djokovic (85,7) ou Pete Sampras (83,5). C'est tout simplement magistral, sur une surface sur laquelle il n'avait, a priori, pas l'air d'avoir d'atomes crochus particuliers quand il a débarqué sur le circuit, avec notamment une qualité de service encore assez loin ce celle des meilleurs, ce qui a également changé depuis.
Mais le Murcien est tout de suite – et ça aide – tombé amoureux du gazon, sur lequel son sens du jeu et sa "main" formidable ont finalement fait rapidement des merveilles. Et à l'inverse de Sinner qui le contourne plus qu'autre chose, Alcaraz s'adapte au gazon. On en revient ici au slice, cette arme si redoutable sur tapis vert. Selon le site d'analyses statistiques Tennis Abstract, lors de son premier tour remporté à Londres contre Fabio Fognini, pour 158 revers frappés du fond de court, Carlitos en a slicés 50. A titre de comparaison, lors de la finale de Roland-Garros contre Sinner, il en avait slicés 29 sur 314. On vous laisse calculer le différentiel.
"Alcaraz ne joue pas si différemment que ça sur gazon, mais la surface lui permet d'être encore plus créatif, avec une utilisation plus fréquente de l'amortie et effectivement du slice, poursuit Nicolas Escudé. Il a incontestablement un jeu plus naturellement adapté au gazon que Sinner, dans le sens où il a un panel de coups qui vont lui permettre de s'adapter à différentes problématiques. Là où Sinner, et on l'a bien vu contre Dimitrov, peut avoir plus de difficultés à s'adapter à certains styles. Sur gazon, il faut respecter le jeu. Sinon, il peut vous arriver des bricoles…"
Sur son site officiel, Wimbledon publie une statistique intéressante sur la distance parcourue par les joueurs durant les matches. On constate, et c'est peut-être un peu étonnant, que Jannik Sinner couvre globalement plus de terrain qu'Alcaraz : en moyenne, 14,6 m par échange, contre 13,7 m à son rival. Bien sûr, ces chiffres-là sont toujours à tempérer selon le profil des adversaires mais il y a tout de même une constante. Hormis contre Novak Djokovic qui, se sachant blessé, a un peu joué son va-tout, Jannik Sinner a toujours couru davantage que ses adversaires. Là où Alcaraz fait davantage galoper les siens, même s'il frappe (proportionnellement) moins de coups gagnants. En jonglant habilement avec les zones, les effets, les trajectoires, il manœuvre, là où Sinner recherche le K.-O.. Il sera intéressant de voir, dans ce "match-up", qui prendra l'ascendant sur l'autre.
Il y a un domaine dans lequel Sinner est supérieur, c'est côté revers. Et puis, il est plus constant, que ce soit sur le plan technique ou mental.
Mais aussi différents soient-ils dans leur approche du gazon, Jannik Sinner et Carlos Alcaraz se retrouvent sur un point : "Ils bougent extrêmement bien, ce qui est quelque chose de capital sur gazon, poursuit Nicolas Escudé. On a souvent vu, et on voit encore, beaucoup de joueurs offensifs qui pourraient très bien jouer sur gazon, mais qui n'y parviennent pas car ils n'arrivent pas à bien bouger dessus. Le gazon demande un temps de freinage qui n'est pas évident à négocier, deux-trois petits pas supplémentaires sur lesquels ils se retrouvent embarqués." Alcaraz et Sinner, à la manière d'un Djokovic, ont résolu le problème : ils ne se déplacent pas sur gazon, ils glissent dessus.
A qualité de déplacement égale, vu son expérience supérieure sur gazon et vu sa dynamique face à un adversaire contre lequel il reste sur cinq victoires consécutives, y'a-t-il un monde dans lequel le double tenant du titre pourrait donc laisser échapper cette finale ? "Oui, quand même, conclut "Scud". Il y a un domaine dans lequel Sinner est supérieur, c'est côté revers, où il est assurément plus solide qu'Alcaraz, même si ce dernier arrive à bien compenser sur gazon justement avec le slice ou en s'appuyant sur la vitesse de balle adverse. Et puis, Sinner est plus constant, que ce soit sur le plan technique ou mental."
Entre l'un, Carlos Alcaraz, qui cajole les brins d'herbe à la manière d'un horticulteur phytophile, et l'autre, Jannik Sinner, qui surfe littéralement dessus tel un karting en dérapage contrôlé, on est tout de même curieux de voir, au final, lequel cultivera le mieux son jardin.
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