Formule 1 | Helmut Marko, Max Verstappen... Red Bull et le spectre d'un suicide sportif

C'est l'une des grandes lapalissades du sport. Dans le milieu, le meilleur ennemi est souvent soi-même et quelque chose nous dit que Red Bull pourrait le démontrer. Toujours dominante en piste, en particulier grâce à Max Verstappen, l'écurie autrichienne est désormais gangrenée par des luttes intestines dignes des séries les plus populaires du moment. L'affaire Christian Horner avait fait une victime, une employée qui a eu à la fois le malheur de subir ce qu'elle estimait être des "comportements inappropriés" mais aussi d'en informer sa direction, ce qui lui a valu d'être suspendue à la veille de la journée internationale des droits des femmes. Écœurant symbole.

L'épisode a aussi fait des perdants : Horner qui, bien que blanchi, ne sera probablement plus jamais détaché de ces faits présumés. Et la marque Red Bull toute entière : sa gestion de l'affaire est une jolie compilation de tout ce qu'il ne faut absolument pas faire pour préserver son image. Drôle d'échec pour une entreprise que l'on pensait experte en la matière, et dont l'implication en Formule 1 ne doit servir que son prestige, puisqu'elle n'est pas un constructeur automobile.

Avant même toutes ces révélations particulièrement embarrassantes, Red Bull devait déjà s'habituer au paradoxe de ses succès. Ils étaient devenus tels qu'ils n'en avaient plus tout à fait la même saveur. Les amoureux de la discipline ont eu, et ont encore, beaucoup d'admiration pour la réussite actuelle de l'écurie, de sa merveille de pilote Max Verstappen, et de son ingénieur de génie Adrian Newey. Le grand public, celui-là même que toute la F1 drague depuis des années, n'a probablement pas cette sensibilité-là, et aurait certainement besoin d'un peu plus de courses moins prévisibles pour véritablement apprécier les exploits de l'écurie.

Nous voilà donc arrivés au moment où les casseroles traînées par la marque aux Taureaux Rouges font désormais plus de bruit que ses victoires. Et à force de vouloir étouffer le vacarme, elle semble plutôt lui donner encore plus d'écho. Vendredi, alors que tout se déroulait comme d'habitude lors de la qualification du Grand Prix d'Arabie saoudite - c'est-à-dire avec une nouvelle leçon de Max Verstappen - plusieurs médias rapportaient que Helmut Marko, conseiller spécial de la marque, était lui aussi visé par une enquête.

L'Autrichien serait suspecté d'avoir joué un rôle dans les fuites médiatiques de l'affaire Horner. Qu'on se le dise : pas grand-monde n'est véritablement tombé des nues. On savait, avant même que Jos Verstappen ne s'exprime auprès du Daily Mail, que cette affaire n'est en réalité qu'un pan de la lutte de pouvoir que se livrent les différents camps depuis de longs mois et la mort du grand patron et fondateur Dietrich Mateschitz. Avec, d'un côté, Christian Horner, soutenu par l'actionnaire majoritaire thaïlandais Chalerm Yoovidhya. De l'autre, Oliver Mintzlaff, directeur général de Red Bull, le clan Verstappen et celui qui est particulièrement apprécié du triple champion du monde, Helmut Marko.

En excellent communicant, et probablement conscient de son poids et de celui de ses alliés, le "conseiller spécial" de la marque est apparu devant les caméras quittant précipitamment le paddock, à peine la qualification terminée. Avant cela, il avait laissé entendre auprès de l'ORF, et d'autres médias, que l'enquête dont il était la cible pouvait déboucher sur sa suspension. En précisant, tout aussi subtilement, qu'il déciderait lui-même des conséquences de cette autre affaire.

Comprenez : l'homme de 80 ans met son départ en jeu et menace de claquer la porte s'il s'estime fragilisé. Il a le plus gros atout dans sa manche. Et s'il a rappelé que Verstappen était "le plus fort et le plus rapide", ce n'est ni banal ni anodin. A l'automne dernier, lorsque le média allemand Bild évoquait, déjà, les guerres de clan germant au sein de l'entreprise, Max Verstappen avait pris le parti de... ne pas prendre parti, qualifiant même ces informations de "conneries".

Preuve que l'affaire a pris un tout autre tournant depuis, le Néerlandais s'est cette fois présenté à tous les micros, après la qualification, sans rechigner à répondre aux questions portant sur l'avenir de Marko. "Ma loyauté envers lui est très grande, a-t-il même insisté en conférence de presse, dans une longue tirade. Au sein de l'équipe, j'ai toujours dit à tout le monde, y compris aux personnes très haut placées, qu'il était un élément important dans ma prise de décision pour mon avenir. [...] Pour moi, Helmut doit rester, c'est certain."

La balle est de nouveau dans "l'autre" camp. Mais ses prochaines décisions pourraient être capitales pour l'avenir de l'écurie. Avant le deuxième Grand Prix de la saison, la tension est encore montée d'un cran. À Djeddah, en qualification, Sergio Pérez s'est battu dans un mouchoir de poche avec Charles Leclerc (Ferrari) et Fernando Alonso (Aston Martin). Loin, très loin (plus de trois dixièmes) derrière Max Verstappen. Preuve, s'il en fallait, que rien chez Red Bull ne fait plus de différences que le surdoué néerlandais. Prendre le risque de l'inciter à partir, c'est flirter avec ce qui serait l'un des plus grands hara-kiri de l'histoire du sport.