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Coupe du monde 2022 - La main de Luis Suarez lors du Mondial 2010, traumatisme pour le Ghana, fierté de l'Uruguay

Cyril Morin

Mis à jour 02/12/2022 à 14:11 GMT+1

COUPE DU MONDE - Ce vendredi, le Ghana et l'Uruguay ont rendez-vous pour un dernier match décisif dans cette poule H pour se qualifier en 8e de finale (16h). Une opposition qui rappelle celle, mythique, en quart de finale du Mondial 2010, avec la main de Luis Suarez à la dernière minute et la qualification, in fine, de la Celeste en demie. Un épisode qui continue de faire parler, douze ans après.

Main de Dieu ou main du Diable : le geste si polémique de Luis Suarez face au Ghana lors de la Coupe du monde 2010

Crédit: Getty Images

En philosophie, comme en football, le destin et le hasard sont deux notions qui s'entrelacent. L'histoire a beau être écrite, il se peut qu'elle se détourne de son cours originel par l'intervention des dieux du hasard. Parfois, ils aiment être taquins comme ce vendredi 1er avril 2022 où le hasard, justement, a voulu faire croire au destin : l'Uruguay et le Ghana dans la même poule, la H, avec un dernier match aux airs de 16e de finale. Le deuxième match de l'histoire entre les deux nations après un premier inscrit à jamais au panthéon mondial du football.
Ce 2 juillet 2010 est peut-être l'un des meilleurs condensés modernes de l'aspect tragique, cruel et irréversible du football. Au Soccer City Stadium de Johannesburg, Luis Suarez réalisa l'un des gestes les plus fous, dans un moment suspendu, de l'histoire de la Coupe du monde : une tricherie délibérée, avec une parade sur sa ligne alors que le Ghana allait marquer. La suite de l'histoire est connue. Mais pas encore digérée.
"L'heure de la revanche a sonné", a lancé le président de la Fédération ghanéenne, Kurt Orkaku, sur la BBC le jour du tirage au sort. John Mahama, ex-président de la République, est allé plus loin : "Regardez ce que Dieu a fait, en ramenant l’Uruguay dans notre groupe. Ce sera une douce revanche si nous les battons. Donc, même si vous ne battez personne, battez l’Uruguay pour moi et rendons à Suarez ce qu’il nous a fait".

L'Afrique derrière les Black Stars

La tonalité fut moins guerrière pour André Ayew dimanche au micro de beIN Sport mais l'ancien Marseillais s'est fermé instantanément à l'évocation de ce souvenir : "Je suis le seul rescapé de ça. Ça ne sert à rien de trop parler, c'est un match où il faudra qu'on récupère des points pour passer au prochain tour, tout simplement". C'est malgré tout un peu plus que ça. Ce Ghana-Uruguay reste un traumatisme pour un continent tout entier. Parce que cette main est venue, aussi, priver l'Afrique de sa première demi-finale de Mondial.
"Avant de jouer contre l'Uruguay, on avait plein de supporters, toute l'Afrique était avec nous, presque le monde entier. C'était un moment historique. En regardant autour, on ne voyait que des drapeaux du Ghana", se remémorait pour la BBC John Paintsil, titulaire dans le couloir droit des Black Stars. Le match est presque comme un rêve pour les coéquipiers de Sulley Muntari, auteur de l'ouverture du score juste avant la mi-temps.
Si Diego Forlan égalise avant l'heure de jeu, les Ghanéens tiennent le choc jusqu'à la fin du temps règlementaire. En prolongation, les occasions se multiplient sur le but de Fernando Muslera avant cette 120e minute fatidique. "Je gratte un coup franc côté droit et, quand je récupère le ballon, je prie en me disant : 'ce ballon va aller droit dans les filets'", explique encore le latéral droit.
J'ai essayé de faire croire à l'arbitre que c'était Fucile
Le ballon, dévié au premier poteau, est mal dégagé par Fernando Muslera. Dennis Appiah, à bout portant, est contré par… Suarez avant que le ballon ne soit finalement smashé par Dominic Adiyiah, entré en jeu. Pas de doute : Muslera est battu, il va y avoir but, le Ghana va rallier les demi-finales, l'Afrique est en liesse. Mais, resté sur sa ligne, Suarez en décide autrement. Le numéro 9 uruguayen renvoie le ballon de la main et tente un coup de bluff.
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La tête d'Adiyiah face à l'Uruguay : un moment suspendu avant la main de Suarez

Crédit: Imago

"Il y avait beaucoup de monde et je pensais que l'arbitre n'avait rien vu, racontera-t-il, en 2014, dans son autobiographie au nom évocateur, 'Crossing The Line'. À côté de moi, sur la ligne, il y avait également mon partenaire Jorge Fucile. Lui était déjà averti et donc suspendu pour la demi-finale, alors j'ai essayé de faire croire à l'arbitre que c'était lui, mais il n'est pas tombé dans le panneau. Il m'a mis un carton rouge, a sifflé penalty et j'ai quitté le terrain en marchant. Abattu. Les larmes coulaient sur mes joues". Elles ne resteront pas longtemps.
Asamoah Gyan s'avance pour frapper. Spécialiste de l'exercice, il n'a raté qu'une seule fois la cible en carrière, lors de la Coupe du monde 2006. Depuis, c'est un sniper : 7 tentatives, 7 réussites, dont deux dans ce Mondial. "Quand on a récupéré le penalty, je me suis dit que c'était bon, qu'on avait notre expert Asamoah Gyan, continue son coéquipier. On a tous pensé qu'on était déjà en demi-finale. Quand la balle a touché la barre, ça a été un choc". Moment suspendu à Johannesburg et regrets éternels pour l'attaquant ghanéen.

"Si je suis honnête, je ne peux pas regarder le match"

Le filou Suarez, lui, n'a pas encore rejoint le vestiaire. Il célèbre cette barre depuis le couloir comme un but décisif. Le coup sur la tête des Ghanéens est effectivement équivalent. Derrière, c'est aux tirs au but que les Black Stars quittent la compétition, définitivement éliminés après une panenka transformée par le "loco" Sebastián Abreu. Gyan ne s'est pas démonté au moment de transformer son tir au but mais il sait que ce n'est pas ce coup de pied là qu'il fallait marquer…
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Asamoah Gyan inconsolable lors d'Uruguay - Ghana en 2010

Crédit: AFP

"A l'hôtel, on a tous dû passer par la chambre de Gyan pour lui remonter le moral, rembobine encore Paintsil. Il pensait qu'il était le seul coupable. On a fait ce qu'on a pu mais il a pleuré toute la nuit. Gyan ressent encore cette douleur, toute l'équipe est dans le même état". Ce n'est pas Hans Sarpei, lui aussi présent ce soir-là avec les Black Stars, qui dira l'inverse. Même des années plus tard, son discours transpire la colère et la rancœur.
"Il est sur la ligne, la balle est presque déjà dedans, regrette-t-il lui aussi auprès de la BBC. Mais là, il décide de tricher avant d'être expulsé. Si je suis honnête, je ne peux pas regarder le match. Quand il passe à la TV, je ne le regarde pas. J'étais là-bas et la douleur est encore là. On devait aller en demi-finale, on devait être la première équipe africaine à rallier les demies et cela aurait changé beaucoup de choses pour l'Afrique".
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La main"salvatrice" de Luis Suarez face au Ghana.

Crédit: Panoramic

La célébration qui ne passe pas

Le pire dans l'affaire pour eux : cette célébration uruguayenne sous leurs yeux, avec un Luis Suarez porté en triomphe par ses coéquipiers. "On était là, à pleurer, et on voyait un tricheur célébrer devant nous… Comment puis-je lui pardonner ? Jamais de la vie…", conclut Sarpei. Il faut dire que, ce soir-là, le buteur uruguayen ne fait pas dans la discrétion.
"Je suis un putain de gardien !, lâche-t-il euphorique en zone mixte. J'ai réalisé l'arrêt du Mondial. Je n'avais pas le choix. La main de Dieu, c'est moi qui l'ai maintenant. Pourquoi parler de main du Diable ?". Parce que c'est justement l'expression choisie par Milovan Rajevac, le sélectionneur ghanéen. Une tonalité qui n'a pas évolué en douze ans : jeudi, lors de la conférence de presse organisée par l'Uruguay, un journaliste ghanéen a affirmé à l'attaquant qu'il le voyait "comme le diable en personne".
"Je ne peux pas lui pardonner, lâche aussi Paintsil. Parce qu'il a triché, tout simplement. Une tricherie est une tricherie. Après ce penalty raté, il est sorti mais il est finalement revenu pour célébrer, comme s'il était au sommet du monde. Sois au moins professionnel, ressens notre douleur. Célèbre ça dans le vestiaire, sans que personne ne puisse le voir".
Luis Suarez porté en triomphe par ses coéquipiers après la qualification de l'Uruguay en demi-finale de la Coupe du monde 2010
De 2010 à 2022, Suarez n'a pas dévié de sa ligne. Il s'est sacrifié pour les siens, comme l'aurait fait n'importe lequel de ses coéquipiers. "Je ne pense pas que mon geste était si grave, écrit-il dans son livre. Je n'ai pas marqué un but de la main comme Diego Maradona en 1986. Je n'ai fait de mal à personne. J'ai agi instinctivement et sur l'instant, j'ai plutôt eu l'impression de m'être sacrifié".

Une babiole si symbolique

"Je ne vais pas m'excuser pour cela, a-t-il répété mercredi malgré les questions offensives. Certes, j'ai sorti le ballon de la main, mais ce n'est pas moi qui ai manqué le pénalty. C'est le joueur ghanéen. J'aurais pu m'excuser si j'avais taclé et blessé un joueur tout en prenant un carton rouge, mais dans cette situation, j'ai pris un rouge, le pénalty a été sifflé, mais ce n'est pas de ma faute si le Ghanéen a raté son pénalty". Cruel mais factuel.
D'autres gestes, attitudes ou buts viendront marquer le parcours de l'attaquant. Des morsures, des provocations, du génie : Luis Suarez est un condensé de tout ça. Mais ce geste-là, il en garde une tendresse affective inégalable. Parmi tous les trophées et souvenirs qu'il stocke dans sa villa de Montevideo, un seul détonne par sa simplicité : "C'est une figurine d'un gardien qui fait un arrêt incroyable, offert par des supporters uruguayens. Il y a un mot gravé juste en-dessous : merci".
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Des supporters uruguayens remercient Luis Suarez, suspendu lors de la demi-finale de l'Uruguay en 2010

Crédit: Getty Images

Douze ans après, l'émotion est encore là. Chez les Ghanéens, elle ne partira sans doute jamais. Mais si le geste avait divisé l'opinion footballistique à l'époque, le vice de Suarez n'est plus aussi clivant. L'œuvre du temps, sans doute. Et parce que l'argument du truqueur uruguayen est infaillible : tout le monde aurait fait pareil. Argumentaire d'autant plus efficace que la plus grande victime de l'affaire l'a finalement validé.
"J'aimerais pouvoir oublier ce penalty, revenir en arrière, mais ce n'est pas possible, répondra en toute transparence Asamoah Gyan auprès de L'Equipe en 2014. Cette image me hante. D'un côté il y a un héros, de l'autre un homme détruit. Mais, au bout du bout, il a eu raison. Dans mon pays, les gens le haïssent, mais si j'avais été à sa place j'aurais fait pareil. C'était à moi d'écrire l'histoire. Malheureusement ce penalty m'a transformé en pire ennemi de la nation. Mais je peux encore me racheter. Un jour, peut-être, mon fils ou mon neveu réussiront à faire ce que je n'ai pas fait". Histoire que le hasard et le destin se mêlent à nouveau du cours de la grande histoire du football.
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