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Joueurs "bannis", championnats, mercato : ces questions que la création de la Super Ligue soulève

Cyril Morin

Mis à jour 19/04/2021 à 21:30 GMT+2

Dimanche, douze clubs ont décidé d’officiellement lancer la Super Ligue, se mettant à dos les institutions européennes mais également nationales. Pour Eurosport, Loïc Ravenel, économiste au CIES qui a suivi le projet depuis plusieurs années, et Tatiana Vassine, avocate en droit du sport, répondent aux questions qui restent encore à trancher.

FC Barcelona, Real Madrid, FC Liverpool, Manchester City - Super League

Crédit: Getty Images

La FIFA et l'UEFA ont-elles vraiment le pouvoir de "bannir" les joueurs des sélections ?

C’est la grande conséquence de la mise au point de l'UEFA ce lundi après-midi : et si les sélections nationales étaient privées des joueurs appartenant aux clubs participant à la Super Ligue ? C’est le souhait d'Aleksander Čeferin mais juridiquement, la menace semble un peu fragile.
"Pour comprendre la situation, il faut rappeler la genèse d’instances comme la FIFA et de l’UEFA. Ce sont des entités historiques organisatrices de compétitions sportives, nous rappelle Tatiana Vassine, avocate en droit du sport. A ce titre-là, elles ont un pouvoir réglementaire qui leur permet de réguler les conditions d’accès à leurs compétitions et de fixer les règles à respecter pour accéder à leurs activités. Elles peuvent aussi sanctionner les manquements à ces règles. En théorie, elles peuvent donc parfaitement prendre une réglementation visant à interdire la participation à d’autres compétitions. Mais cette prise de position serait-elle pour autant légale ? Autrement dit, ce n’est pas parce qu’elles ont le pouvoir réglementaire de l’interdire que c’est forcément en conformité avec la loi ou la réglementation européenne comme la liberté d’association ou l’antitrust. Ce deuxième temps de réflexion est plus discutable".
Si la situation semble inédite pour le football mondial, elle rappelle un précédent pour le sport de haut niveau. "On a un précédent avec l'affaire ISU & les patineurs de vitesse professionnels néerlandais Mark Tuitert et Niels Kerstholt, qui voulaient participer à d’autres compétitions que les compétitions organisées par la fédération internationale, rembobine l’avocate. Ils avaient été menacés de radiation s’ils y participaient. La commission européenne suivie par le tribunal de l’Union européenne leur avaient donné gain de cause puisque les sanctions avaient été jugées disproportionnées et contraires aux règles de la libre concurrence. Donc si la FIFA ou l’UEFA venaient à prendre des sanctions envers des joueurs ou des clubs qui voudraient participer à une compétition régie par un autre organisation, elles s’exposeraient au même sort".
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Effrayante hécatombe : à quoi ressembleraient les Bleus sans les joueurs de Super Ligue ?

Légalement, jusqu’où la confrontation pourrait-elle aller ?

Alors que les douze fondateurs ont annoncé vouloir débuter la compétition "aussitôt que possible", le rythme juridique pourrait être plus long et balisé de différentes étapes. Jusqu’au Tribunal Arbitral du Sport. "Il faudrait que la FIFA aille au bout de sa démarche, explique Tatiana Vassine. Si on prend l’exemple d’un joueur, il faudrait que celui-ci soit sanctionné. Une fois passé en commission de discipline, il pourrait aller devant le Tribunal Arbitral du Sport, comme l'avait fait Michel Platini, pour contester la sanction qui avait été prise à son égard.".

Les championnats nationaux peuvent-ils survivre économiquement sans leur locomotive ? Et inversement ?

S’il faut se projeter, quid de la Premier League, de la Serie A ou de la Liga sans leurs équipes phares, les stars et donc les revenus qui vont avec ? Car si Super Ligue il y a, certains championnats ont déjà acté le divorce et pensent déjà à une exclusion éventuelle des clubs concernés, comme en Serie A. Pertinent économiquement ?
"La redistribution pourrait quand même se faire via l’achat de joueurs dans les championnats nationaux vers des équipes de la Super Ligue, comme ils le font déjà actuellement, estime Loïc Ravenel. Avec peut-être même des moyens plus importants. Mais quid de l’intérêt des championnats nationaux ?". Toute la question est là. D’autant que la juteuse Super Ligue peut permettre aux gros clubs de passer outre.
"On est dans la politique fiction mais d’après les sommes indiquées, on peut supposer que ces équipes-là pourraient vivre sans leur championnat, estime l’économiste du CIES. Mais à condition de trouver des diffuseurs sérieux. Mais si ces clubs sont exclus de leurs championnats domestiques, ils réfléchiront aussi à repenser leur format et se mettre aussi à jouer les week-end pour aussi concurrencer les championnats. Sur les publics nationaux, on pourrait avoir deux modèles concurrentiels. Mais à l’échelle mondiale qui inclurait l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, c’est perdu d’avance pour les championnats nationaux".
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Le logo de la Super League

Crédit: Eurosport

Le mercato peut-il être un moyen de pression ?

S’ils ont les meilleurs joueurs au monde, c’est souvent parce qu'ils ont dépensé très cher pour les obtenir. Dans le modèle du football moderne, le mercato tient une place à part et permet aux plus riches d’appuyer encore un peu plus leur domination à coups de millions. Mais si la FIFA en décidait autrement, en interdisant par exemple les transferts avec les équipes engagées en Super Ligue, la pression pourrait-elle être suffisante ?
"Pour parler des transferts, il faut aussi se rendre compte que c’est par cette 'solidarité' des transferts que ces gros clubs font marcher l'ensemble du système, rappelle Loïc Ravenel. C’est par un effet boule de neige que les plus petits clubs peuvent aussi investir sur le marché, après avoir revendu certains joueurs vers les gros clubs. Donc interdire ces transferts, ce serait un peu se tirer une balle dans le pied dans le modèle actuel".
Et d’un point de vue juridique, pas sûr que cela soit pertinent non-plus. Car cette décision se heurterait aux mêmes écueils que l’interdiction des sélections nationales pour les joueurs. "La FIFA, organe régulateur du football au niveau international, pourrait décider de l’interdire, estime Tatiana Vassine. De la même manière qu’elle peut modifier ses règlements. Mais cette interdiction serait soumise à la même grille d’analyse, à savoir : est ce légal ? Avec en plus une atteinte à la liberté de circulation des travailleurs... ce type de situation soulève une vraie question de fond qui peut remettre en cause "la souveraineté" de ce type d'institutions. Dans des sports comme le football, elles ont un quasi-monopole de fait".

Même si elle est officielle, la rupture est-elle définitivement actée ?

Le football a-t-il définitivement changé d’ère dimanche ? Pas sûr. Car cette guerre qui s’annonce n’est finalement que le prolongement d’une succession de petites batailles pointant vers ce moment. Pour autant, la rupture peut encore se transformer en synthèse.
"Pour moi, ça reste un coup de bluff en vue du calendrier du jour, avance Loïc Ravenel. Aucune des deux parties n’a intérêt que la scission se fasse. Pour les championnats, ça serait une lutte compliquée et l’exemple du basket a montré qu’elle était perdante jusque-là. Pour la Super Ligue, ça risque aussi de poser des problèmes de légitimité. Ça sera impossible pour eux de programmer des matches uniquement sur le créneau international. Il faudra décider de qui est le public cible avec les problèmes de calendrier que cela pose".
Et la politique des gros bras menée par l’UEFA et la FIFA jusqu’ici peut cacher une réalité plus nuancée. "Ça peut aussi être une stratégie de négociation, explique Tatiana Vassine. La FIFA peut poser ce principe d’interdiction pour mieux initier une phase de rapprochement et débuter des discussions. Mais là aussi, on l’a vu dans le basket, quand on a un autre organisme que la fédération internationale qui met en œuvre des compétitions, ça peut devenir problématique pour elle. Parce qu’il peut y avoir une forme de concurrence qui s’institue et que la fédération est obligée de composer avec un acteur qui peut se montrer très actif sur le secteur du spectacle sportif, voire lui faire ombrage. Pour autant, interdire ce type de compétition semble irréaliste d’un point de vue juridique". Autrement dit, le feuilleton Super Ligue ne fait que commencer. Et sa conclusion, autant sportive que juridique, semble encore bien lointaine.
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Florentino Pérez y Alexandr Ceferin

Crédit: Getty Images

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