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MotoGP - Comment Quartararo est devenu champion du monde, de "pilote médiocre de Moto2" à successeur de Valentino Rossi

Julien Pereira

Mis à jour 25/10/2021 à 09:30 GMT+2

GRAND PRIX D'EMILIE-ROMAGNE - Fabio Quartararo (Yamaha Factory) est maintenant au sommet. Nulle part il y a quatre ans, alors qu'il était encore en catégorie intermédiaire, promu à la surprise générale en MotoGP, le Français a vécu trois années riches en rebondissements avant de décrocher son premier titre de champion du monde. Malgré un talent indéniable, son ascension n'a pas été linéaire.

Quartararo en mode domination : les chiffres d'une saison de champion

À l'époque, on aurait parié qu'il arriverait là où il est aujourd'hui plus vite, plus tôt. Dimanche, au Grand Prix d'Émilie-Romagne, Fabio Quartararo (Yamaha) s'est sacré champion du monde et a accompli le destin que beaucoup lui avaient prédit, en 2015, lorsque les organisateurs du Championnat lui avait accordé une dérogation afin qu'il puisse y participer avant même d'avoir l'âge légal, à savoir 16 ans. Mais en catégorie reine comme dans les classes inférieures, son chemin vers le sacre suprême a été plus long, plus tortueux et plus pentu que prévu.

2019, la révélation

Tout commence comme dans un cauchemar. Fraîchement promu en MotoGP, Fabio Quartararo boucle des essais hivernaux convaincants et réussit sa première qualification de l'année, au Qatar (5e). Mais sa promotion fait encore débat ; son curriculum vitæ est maigre, le Français a simplement eu la bonne idée d'aligner deux podiums dont un succès en Moto2, au début de l'été précédent, lorsque la toute nouvelle structure de l'élite, le Sepang Racing Team, était sommée de nommer son duo de pilotes pour la saison 2019. "Pour être honnête, Fabio était un pilote médiocre de Moto2", admettra plus tard à The Race Johan Sitegefelt... directeur de l'écurie.
Sous pression, "El Diablo" est le mieux placé des rookies sur la grille de départ de la manche inaugurale. Mais il cale - erreur rarissime à ce niveau - avant même de partir pour le tour de chauffe. Et doit finalement s'élancer depuis la voie des stands. Dernier au départ, aux portes des points à l'arrivée après avoir établi le meilleur tour en course, le Français attire quand même l'attention sur son talent... et son caractère : à son retour au box, il fond en larmes. Tête, casque et bras croisés sur les genoux.
Il s'effondre de nouveau, un mois et demi plus tard, en plein Grand Prix d'Espagne, son sélecteur de vitesses s'étant cassé alors qu'il était en chasse derrière Marc Marquez. La veille, il avait récupéré un record de l'Espagnol en devenant le plus jeune poleman de l'histoire. Un drôle d'ascenseur émotionnel. Encore un.
"El Diablo" est émotif. Peut-être trop. Qu'importe. Les bons résultats défilent. Les podiums arrivent, en Catalogne puis à Assen. Désormais, plus personne ne s'interroge sur la légitimité de la promotion du Niçois. Certains commencent même à se demander si ce gamin peut devenir, à terme, la kryptonite du super-champion Marc Marquez.
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Fabio Quartararo (Yamaha SRT) au Grand Prix du Qatar 2019

Crédit: Imago

Juste avant le Grand Prix de Saint-Marin, l'Espagnol livre son propre avis : Quartararo est un adversaire majeur, "pour cette année et pour le futur." La course disputée quelques jours plus tard lui donne raison. À Misano, le Français domine, 23 tours durant, mais finit par s'incliner face au Catalan au bout d'une folle passe d'armes dans le dernier tour. "Ce fut le plus beau moment de ma carrière, et peut-être même de ma vie", raconte alors le jeune pilote. "Je suis satisfait d'avoir gagné mais le meilleur, aujourd'hui, c'était Fabio", analyse Marquez. Ces deux-là remettent ça trois semaines plus tard, à Buriram, où le Catalan s'adjuge un sixième titre.
Vite, vite, la saison prochaine.

2020, la désillusion

19 juillet 2020, Jérez. Le monde a changé. Le rapport de force, aussi. Assuré avant même que la pandémie ne ravage l'Europe de succéder à Valentino Rossi en 2021, Quartararo change de statut. Plus question, pour lui, de se contenter des miettes laissées par Marc Marquez. "Je ne veux pas dire que je suis prêt pour le titre, car je ne le suis pas, mais c'est une année où je pourrai me battre pour de bonnes positions dès le premier Grand Prix", prévient-il.
Le Français tient sa parole. Épatant le samedi, impressionnant le dimanche, "El Diablo" décroche son tout premier succès dès la manche inaugurale et met fin à 21 années de disette pour le sport moto tricolore. Ce qu'il ne sait pas encore, c'est qu'il va devenir le grandissime favori pour le titre, alignant un second succès sur le même tracé alors que Marc Marquez, lui, s'est gravement blessé. Et ça change tout.
Très vite, pourtant, la voie royale vers le titre devient un chemin particulièrement piégeux. Ici, on se demande si les loups ne sont pas mieux placés que le leader de la meute. Là, on questionne la légitimité de ce championnat - et donc de son futur lauréat - tronqué et disputé sans le patron de la discipline. Ailleurs, on estime qu'un pilote d'une écurie satellite ne peut aller au bout de l'exploit, les moyens de développement des équipes officielles finissant toujours par combler les écarts.
En réalité, Quartararo dispose bien d'une M1 d'usine, la même que celle de Valentino Rossi et Maverick Viñales, les deux officiels de la firme au diapason. Petronas, le sponsor-titre de son écurie, a refusé de faire l'effort financier pour la lui offrir mais le pilote français et son manager, Eric Mahé, ont pris une décision rarissime : ils ont décidé de rogner le salaire proposé par Yamaha en vue de la saison 2021. "Quand on a vu les chronos qu'avait faits Viñales à Valence [aux essais hivernaux, NDLR], on s'est dit qu'il fallait absolument l'avoir", révèlera le Niçois à Moto Revue.
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Fabio Quartararo (Yamaha SRT) au Grand Prix de Valence, le 13 novembre 2020

Crédit: Imago

Lourd sur le plan financier, ce choix l'est aussi sur le plan sportif. Au fil de la saison, Yamaha découvre que le moteur mis au point pour cette cuvée présente certaines défaillances. Moins performante que sa devancière, la machine japonaise est même obsolète sur certains circuits. Quartararo dégringole en République tchèque, prend l'eau en Styrie, chute deux fois à Saint-Marin... Et malgré une troisième victoire en Catalogne, sa deuxième partie de saison est un fiasco.
Sur ce prototype, le Français ne pilote pas. Il survit. "La moto est totalement différente de l’an dernier, détaille-t-il en fin de saison. Je n’ai jamais vraiment trouvé qu'elle était mienne. Nous avons obtenu de bons résultats, mais je ne me suis jamais senti comme l’an dernier. Nous devons comprendre pourquoi. Nous y travaillons déjà mais il manque quelque chose et je me ne sens pas à l’aise." Dans son box, Quartararo peste, râle, s'agace. La pression de la course au titre et la montée en puissance de Joan Mir, régulier à défaut de gagner, n'arrangent rien.
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La domination de Quartararo... et sa dégringolade : le résumé de la saison en datavisualisation

La magie s'envole, le rêve aussi. Le Niçois boucle les trois derniers Grands Prix hors du top 10 et dégringole au huitième rang du championnat du monde. "Quand on termine les trois dernières courses si mal, c'est difficile de dire que l'on est content de sa saison, lâche-t-il. Mais je peux aussi dire que c'est une saison dont je pourrai me souvenir car j'ai remporté trois victoires. D'un certain point de vue, c'est une bonne saison mais malheureusement pas complètement, donc c'est un peu triste".

2021, la consécration

Quartararo se recentre. Il sait gagner des courses, il est un prétendant au titre. Et la nouvelle saison lui permet de repartir d'une page blanche. Durant l'hiver, le prodige tricolore a densifié une préparation physique déjà bien chargée. Surtout, il a travaillé avec un psychologue. Il se l'était promis en fin d'exercice précédent, pour "travailler sur la gestion de ses émotions, sur la moto, dans le box et en dehors des courses".
A partir de maintenant, vous n'entendrez plus le pilote de 22 ans se plaindre. Ni de lui, ni de sa machine, ni du reste. "L'année dernière, quand la moto ne se comportait pas bien, je pensais toujours à des choses négatives, souligne-t-il en début d'exercice. J'ai totalement changé cela pour toujours penser de manière positive." Le cercle vertueux s'enclenche, même après un premier Grand Prix frustrant, au Qatar, où son coéquipier Maverick Viñales s'est imposé alors que lui n'a pu monter sur le podium. Partie remise.
"El Diablo" gagne la semaine suivante, aligne cinq poles consécutives en Europe et empile les podiums. Pourtant, dans son entourage, certains assurent que la nouvelle approche psychologique n'a eu qu'un impact mineur sur la régularité de ses résultats. Le vrai changement, c'est la moto. "Cette année, il est proche de ce qu’il visait. Il y a donc moins d’énervement et il a retenu les leçons de l’an passé, glisse son manager Eric Mahé à nos confrères d'Auto Hebdo. C’est la combinaison de ces deux aspects. Il est moins en difficulté avec son package, donc moins énervé, tout naturellement."
Durant l'hiver, Yamaha a suivi une partie des prérogatives du successeur de Valentino Rossi, abandonnant certaines nouveautés adoptées en 2020 pour livrer une machine plus proche de celle qui avait permis au Français de chatouiller Marc Marquez la saison précédente. La résolution ne convient pas à grand-monde, où plutôt à personne d'autre que lui : Rossi est largué et Viñales, irrégulier, en perd ses nerfs au point de tenter de saboter sa machine, en course.
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Pecco Bagnaia (Ducati Team) et Fabio Quartararo (Yamaha Factory) au Grand Prix des Amériques 2021

Crédit: Getty Images

Pour Quartararo, tout marche du tonnerre. Sur la durée, le pilote tricolore n'a pas de rival. Du lever de rideau jusqu'à un Grand Prix d'Autriche un peu particulier, début août, le Français ne quitte jamais le Top 6 en course. Sauf en Espagne, à Jérez, où le Français a bouclé l'épreuve avec le bras atrophié par le syndrome des loges, alors qu'il menait avec de la marge. Il décroche un podium sous la pluie - ce qui était inimaginable auparavant - et la pression semble glisser sur son cuir. Ce n'est pas Francesco Bagnaia, vainqueur de deux Grands Prix consécutifs avec la manière, qui dira le contraire.
A Misano 2, sur le circuit où son dauphin l'avait devancé quelques semaines plus tôt, le Niçois convertit sa première balle de match après la chute du rival. Quartararo est sur le toit du monde. A 22 ans. Et après trois saisons en MotoGP qui, parfois, lui ont peut-être paru plus longues.
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