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Top 100: De la 50e à la 46e place

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 17/06/2013 à 18:12 GMT+2

1983-2013: 30 ans et 100 grands moments de sport français. A la 46e place, l'improbable doublé de Lilian Thuram en demi-finale de la Coupe du monde 1998, face à la Croatie.

Top 100 1998 France Croatie Thuram

Crédit: Imago

50. MEURTRE PARFAIT DANS UN JARDIN ANGLAIS
C'était quoi? Une déroute transformée en triomphe. Le tout en quelques minutes. Etonnant. Inexplicable. Improbable. Français.
L'histoire: Pour le XV de France, il y a deux choses au-dessus de toutes les autres: une victoire contre les Blacks, pour le respect qu'on leur voue. Une victoire contre l'Angleterre, pour l'amitié qu'on lui porte, et réciproquement. Le rugby français voue à son voisin anglais une admiration secrète. Il est tout ce qu'il n'est pas. Il a les qualités qui complètent ses défauts. L'inverse est tout aussi vrai d'ailleurs. Le rugby anglais n'aime pas son voisin d'outre-Manche, mais il l'admire. S'il était possible d'imbriquer le meilleur du jeu anglais et l'essence de l'esprit rugbystique français (tel qu'il a existé, en tout cas), il serait possible de créer une sorte d'équipe idéale. En ce sens, le match du 1er mars 1997 est ô combien emblématique. D'abord, une démonstration anglaise pendant une heure. Un XV de France laminé. Menés 20-6 à 20 minutes de la fin, les joueurs de Skrela et Villepreux pourraient aussi bien compter 30 ou 40 points de retard tant ils se font faits massacrer. Une boucherie.
Puis tout va tourner. Rarement un match aura basculé à ce point à 180° de façon aussi brutale. Sans qu'on puisse vraiment l'expliquer. En un quart d'heure, les Bleus vont éteindre les "Swing low, swing chariot" et faire monter une inattendue Marseillaise des tribunes. Si on ne sait pas comment cette rencontre bascule, on sait par qui. Marc De Rougemont, habituel talonneur, est contraint d'entrer… en troisième ligne. Le rouquin de Toulon, complètement survolté, va remettre son équipe dans le sens de la marche. L'oscar du meilleur impact player, comme on ne disait pas encore, est pour lui. De la 60e à la 75e minute, les Bleus inscrivent deux essais, par Laurent Leflamand et Titou Lamaison. Deux essais transformés, pour revenir à 20-20, avant la pénalité de Lamaison, celle de la victoire, à cinq minutes de la fin. Plus de 15 ans après, les Anglais n'ont toujours pas compris comment ils ont pu laisser filer un match qu'ils maitrisaient tant. Pas sûr que les Français aient vraiment pu analyser non plus pourquoi ils l'ont gagné. Et c'est bien mieux comme ça.
Quelle portée? Ce n'est pas la dernière victoire tricolore à Twickenham dans le cadre du Tournoi. En 2005, les Bleus s'étaient également imposés via la botte de Dimitri Yachvili. Mais c'est probablement la dernière "grande" victoire française dans le célèbre jardin anglais. Une vraie victoire à la française, venue de nulle part, qui a marqué les esprits, y compris ceux des Anglais. Pour cette génération, cela reste un souvenir inoubliable, de ceux dont on parle avec les yeux qui brillent.
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49. PARKER SUR LE TOIT DE LA NBA, SUR LE TOIT DU MONDE
C'était quoi? La conquête d'un monde inaccessible quelques années plus tôt.
L'histoire: Lorsque débutent les Finals en 2007, Tony Parker n'est pas le premier venu. Plus jeune meneur de jeu titulaire de l'histoire de la NBA à moins de 20 ans, il compte déjà deux bagues de champion avec les Spurs (2003, 2005). Mais San Antonio, c'est alors, d'abord, l'équipe de Tim Duncan. Parker est un remarquable et précieux lieutenant. Les Finals 2007 marquent une césure, celle qui vont installer le Français en chef de meute, en incontournable leader. Les Spurs balaient le Cleveland du tout jeune LeBron James 4-0 et TP termine la série à plus de 24 points en moyenne par match. Il est désigné MVP des Finals. Un sacre qu'il doit à ses statistiques, mais plus encore à sa faculté à se montrer décisif en quatrième quart-temps. Parker n'a que 25 ans mais il possède déjà un bagage énorme malgré ce jeune âge. Il est d'une sérénité qui bluffe tout le monde. Observateurs, adversaires, coéquipiers. Et Gregg Popovich. Coach Pop. Celui qui lui a tant gueulé dessus pendant des années. Celui qui l'a façonné, faisant de lui un joueur complet et un leader. Qui a su polir le diamant brut. "Pop" qui, lors du tout premier workout de TP, avait détourné les yeux. "J'avais été épouvantablement mauvais et il ne voulait plus entendre parler de moi", confie Parker lors de sa conférence de presse d'après titre. Quelques minutes après la fin du match 4, les deux hommes rigolent ensemble en reparlant de cet épisode fondateur. Car Parker a voulu s'offrir une seconde chance. Ce sera la bonne. Il sera drafté par les Spurs et il ne faudra que cinq matches à Popovich pour l'installer dans son cinq majeur. La suite? Une irrésistible ascension. Jusqu'au chef d'œuvre des Finals 2007.
Quelle portée? J'appartiens à une génération pour qui voir un joueur européen évoluer en NBA constituait un évènement considérable. J'ai encore en mémoire les premiers pas du regretté Drazen Petrovic sous le maillot de Portland. D'autres l'avaient devancé, comme Schrempf ou Divac. Mais Petrovic était considéré, avec Arvydas Sabonis, comme le meilleur joueur européen. Sa venue aux Etats-Unis a marqué une rupture. C'est avec lui que le regard des Américains sur le basket européen a vraiment commencé à évoluer. Mais à cette époque, au carrefour des années 80 et 90, la présence d'un joueur français en NBA paraissait totalement utopique. Alors, imaginer un p'tit gars de chez nous en MVP des Finals, c'était l'assurance de passer, au mieux, pour un gentil farfelu, au pire pour un aliéné bon pour l'asile. En ce sens, la performance de Tony Parker est ahurissante, du point de vue de ce qu'était le basket français il y a une quinzaine d'années.
Rappelons qu'avant Tariq Abdul-Wahad en 1997, la France n'avait jamais mis les pieds en NBA. Dix ans plus tard, TP était MVP des Finals. Il suffit de jeter un œil à la liste de ceux qui l'ont précédé ou suivi à ce palmarès pour en mesurer la portée. Au hasard, Walton, Chamberlain, Magic, Bird, Malone, Jabbar, Jordan, Olajuwon, O'Neal, Wade ou Bryant. Parker est entré dans une dimension qui permet de passer à la postérité. Ce triomphe est bien plus celui d'un homme que d'un pays. Le basket français n'est pas devenu dominant au plan mondial ou même européen dans le sillage de ses NBA Boys, comme l'Espagne a su le faire (même si Parker a tout fait pour ça). Mais il y aura incontestablement un avant et un après Tony Parker dans l'histoire de ce sport en France. A l'issue des Finals, un journaliste américain demanda à Parker qui de lui ou de Zidane était le sportif le plus populaire en France. "C'est une bonne question mais je pense que c'est Zidane", avait confié le meneur des Spurs, ajoutant qu'il espérait qu'on mesurerait quand même, un jour, la portée de ce qu'il venait d'accomplir. C'est un fait, Parker n'a jamais joui d'une popularité proportionnelle à ses qualités sportives. Le basket n'est pas le foot. Et les Etats-Unis sont loin. Mais pour ce qui est de l'impact de sa performance, il est à souhaiter qu'il ait raison et que chacun mesure effectivement à quel point son titre de MVP des Finals était, est et sera un exploit incomparable.
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Top 100 2007 NBA Tony Parker

Crédit: Imago

48. LE PARADIS PERDU DE JO
C'était quoi? Le mental dit tout dans le sport de haut niveau. Il peut transcender ou inhiber. Il peut constituer un carburant ou une pollution. Mais quand, fait rarissime, un champion parvient à se détacher totalement de cet aspect psychologique, que reste-t-il? Une forme d'innocence pure, d'insouciance bénéfique, de relâchement extrême, débouchant sur la simple expression du jeu et une plénitude inatteignable dans un autre contexte. C'est l'histoire de Jo-Wilfried Tsonga à l'Open d'Australie 2008.
L'histoire: L'émergence de Jo-Wilfried Tsonga a été incroyablement rapide. Après un début de carrière polluée par un somme de pépins physiques qui auraient pu le pousser prématurément vers la sortie, il pointe largement au-delà de la 100e place mondiale au début de l'été 2007. Six mois plus tard, il entre dans le Top 15. La cocotte-minute mancelle explose pour de bon en Australie, en janvier 2008. Son talent, trop longtemps contenu, pète à la gueule de ses adversaires. Un à un. Il sort notamment Murray, Gasquet et Youhzy (têtes de série 9, 8 et 14). Le voilà en demi-finales contre Rafael Nadal. Son tournoi est déjà une immense réussite. Il peut bien prendre trois sets contre l'Espagnol, personne ne lui en voudra. Effectivement, le duel tourne court. Il ne faut que deux petites heures au vainqueur pour atteindre la finale en ne perdant que sept jeux. Sauf que le vainqueur, c'est Tsonga.
Si l'expression "être sur un nuage" devait être incarnée, ce match de Jo-Wilfried Tsonga ferait parfaitement l'affaire. Il ne rate rien. Tout ce qu'il entreprend, il le réussit. Ses prises de risques hallucinantes lui paraissent évidentes. Comme s'il ne se rendait pas totalement compte de ce qu'il était en train de produire. Nadal, réduit à l'état de punching ball, n'a jamais semblé aussi impuissant sur un court de tennis. Il faut voir et revoir les images de ce match pour retrouver sur le visage du Majorquin l'incrédulité de celui qui a bien conscience d'être le témoin d'un moment unique, mais aussi d'en être la victime. Le déluge de feu qui s'abat sur lui n'a pas d'équivalent. Il n'a jamais vécu ça. Il ne le revivra jamais. Du premier au dernier point, Tsonga n'est jamais sorti de son insouciance. Pas même au moment de conclure. Son match, son chef d'œuvre, il l'achève sur un ace. Prenez la peine de revoir cette balle de match et la réaction de Tsonga derrière. Il ne tombe pas à genoux. Ne hurle pas sa joie. Il ne lève même pas les bras ni ne serre le poing. Il baisse la tête, affiche un sourire plus incrédule que satisfait. Comme pour dire "mais qu'est-ce qui vient de m'arriver?"
Quelle portée? Malheureusement pour lui, Jo Tsonga n'a pas été porté jusqu'au bout par son euphorie. En finale, face à Novak Djokovic, il est apparu plus rationnel. Il y a produit du très bon tennis, mais dénué de cette folie destructrice (pour l'adversaire) qui lui avait permis de tout dévaster sur son passage. Djokovic, lui, avait l'expérience d'une première finale, perdue trois mois plus tôt à New York contre Federer. Pas Tsonga. Ce fut toute la différence entre les deux hommes. Une fois en finale, JWT s'est mis à penser qu'il pouvait gagner un tournoi du Grand Chelem. Ce fut sa perte. Cinq ans plus tard, Tsonga est devenu un membre quasi permanent du Top 10. Il s'est installé au sein de l'élite. Il se taille un palmarès et un parcours des plus respectables. Mais face à une génération de champions d'une invraisemblable homogénéité, il attend en vain son heure. Il n'a plus jamais rejoué de finale. Rien ne dit qu'il retrouvera une pareille chance. Quoi qu'il arrive, il ne pourra plus jamais être porté par cette formidable insouciance qui caractérise ceux qui, parce qu'ils jouent plutôt que de réfléchir, ne connaissent pas le doute. Cet Open d'Australie, ce match contre Nadal, c'est un paradis perdu pour Jo. A jamais. Mais au moins a-t-il eu le bonheur de le connaître. Car ce qu'il a produit deux heures durant face à Rafael Nadal relève de la plus extrême et plus précieuse rareté.
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Slide Melbourne 2008 Jo-Wilfried Tsonga

Crédit: AFP

47. JACQUOT, COMME ROCKY
C'était quoi? 29 ans, 7 mois et 3 jours d'attente. Juillet 1959-février 1989. Quasiment trois décennies sans le moindre champion du monde français. Dire que René Jacquot a écrit une page d'histoire face à Don Curry en 1989 n'est donc pas exagéré.
L'histoire: Il y a du Rocky dans le destin de René Jacquot. Plus besogneux que brillant, des débuts galères et anonymes (il perdre huit de ses vingt premiers combats entre 1983 et 1986…), puis l'ascension inattendue, un coup de pouce du destin et, finalement, tout au bout, tout là-haut, la gloire. Au fil des ans et des combats, le Lorrain parvient à se tailler une réputation. Au point que Jean-Claude Bouttier, usant de ses relations privilégiées avec Bob Arum, qui gère les intérêts de Don Curry, parvient à monter un championnat du monde face à l'Américain. Le deal est scellé, le combat fixé au 11 février 1989. Jacquot reçoit 62500 dollars pour ce match. A l'époque, pour lui, c'est colossal. Mais secondaire. Ce dont il rêve, c'est d'une parcelle de gloire que tout le monde s'accordait à juger irréaliste pour lui quelques mois plus tôt. Surtout contre Don Curry.
Curry. Le Cobra. L'anti-Jacquot par excellence. Aussi doué que Jacquot est laborieux. Fluide, classieux, élégant. Une star de la boxe mondiale. Les deux hommes ont le même âge, pas la même histoire. Champion du monde à 22 ans en 1983, le Texan réunifie deux ans plus tard le titre des welters. A 25 ans, au sommet de son art, il est considéré comme le meilleur boxeur du monde, toutes catégories confondues. Difficile de trouver plus opposées que ces deux trajectoires. Mais quand elles se croisent, en 1989, si Curry reste une star, il est aussi, déjà, sur le déclin. Ses défaites contre Honeyghan et McCallum ont écorné son aura. Certes, il est redevenu champion du monde des super-welters en 1988, face à Gianfranco Rosi. Mais il n'est plus tout à fait le même. Il a beau faire le show lors des séances d'entrainement en public organisées à l'hôtel Méridien de Montparnasse, Jacquot croit dur comme fer en lui. Sa préparation est parfaite. Lorsqu'il monte sur le ring enflammé du Palais des Sports de Grenoble, il est dans la condition de sa vie. Curry ne peut en dire autant. Sur son talent, l'Américain domine les premiers rounds. Mais Jacquot tient le choc, oppose son intelligence au punch adverse, avant d'imposer son physique.
A partir de la mi-combat, Curry décline. Il fait moins mal. Puis plus mal du tout. Jacquot effectue un travail de sape qui porte ses fruits. Au 11e round, Curry va même au tapis. Jacquot n'a pas le dixième du talent de son rival, mais il est prêt à mourir sur le ring. C'est le combat de sa vie, il le sait. Sacré vainqueur aux points, à l'unanimité, l'ancien ouvrier du bâtiment au nez tordu entre dans la légende du sport français en mettant fin à une interminable disette. Alphonse Halimi, qui guettait un successeur depuis 1959 (il fut champion du monde des coqs entre 1957 et 1959), tient enfin son héritier. Jacquot, porté en triomphe, la tête dans les étoiles, ne voit pas encore que sa chute sera aussi abrupte que son ascension fut tardive. Cinq mois plus tard, il rend sa couronne face à John "The Beast" Mugabi, l'homme qui avait résisté au grand Hagler. Pourtant, Jacquot ne prend pas un coup. Dès la première reprise, il chute, bêtement, et se donne une entorse de la cheville. Le douzième coup de minuit vient de sonner pour cendrillon. Deux défaites plus tard contre Terry Norris et Rosi, Jacquot raccroche les gants, 20 mois seulement après son heure de gloire.
Quelle portée? Même s'il n'a pu pérenniser son exploit, Jacquot, par sa victoire, s'est garanti une place dans le livre d'or du sport français. Il a ouvert une porte, décomplexé toute une génération, des Tiozzo à Boudouani en passant par Bénichou et donner à la boxe une densité médiatique colossale. Malheureusement, elle n'a pas perduré. Parti de rien, arrivé tout en haut, il reste un modèle de réussite par l'abnégation et le courage, palliatifs au talent qu'il n'avait pas reçu dans les poings. Exemplaire.
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Top 100 Boxe Rene Jacquot

Crédit: AFP

46. LE DOUBLE COUP DE FOLIE DE LILIAN THURAM
C'était quoi? Vingt-deux minutes aux frontières du réel et du possible. 
L'histoire: Pour gagner une Coupe du monde, objectif footballistique suprême, les équipes se préparent pendant des mois. Elles essaient de ne rien laisser au hasard. C'est un travail d'une infinie minutie, où le moindre petit détail est traité avec soin. Lorsqu'arrive le Jour J, le but est d'avoir paré à toute éventualité, d'avoir tout planifié. C'est encore plus vrai d'une équipe qui joue à domicile. N'ayant pas à disputer les éliminatoires, elle a des années devant elle. La France a ainsi eu six ans pour appréhender l'échéance 1998. Elle est allée au bout de son destin, preuve que la préparation minutieuse a porté ses fruits Ce sens du détail est précieux.
Pourtant, au final, il a fallu qu'un homme sorte de tous les schémas pré-établis pour sauver les Bleus. Lorsqu'elle arrive en demi-finales pour la quatrième fois de son histoire, le spectre des trois échecs à ce stade semble peser sur l'équipe de France, lestée par des semelles de plomb. Peut-être, aussi, parce que se dresse face à elle la toute jeune Croatie, qui n'a rien à perdre après avoir déjà réussi au-delà de toute attente sa Coupe du monde. Les Bleus sont tétanisés. On se souvient d'Aimé Jacquet, à la pause, exhortant ses joueurs à se libérer. "Vous avez peur de perdre, c'est ça? Ne vous en faites pas, vous allez perdre les gars, continuez comme ça et vous allez perdre, je vous le garantis". Le sélectionneur pressent la catastrophe et, avec lui, le Stade de France tout entier, aussi pétrifié que ses Bleus. La seconde période n'a pas débuté depuis deux minutes que ce qui paraissait inéluctable se produit: les Croates marquent. Sur le but de Davor Suker, le coupable se nomme Lilian Thuram. L'arrière droit de Parme a oublié de s'aligner sur le reste de la défense, permettant au buteur croate de ne pas se trouver en position de hors-jeu.
Porté par on ne sait quelle force inexplicable, Thuram va prendre son destin en mains  et, par la même occasion, celui d'une équipe en train de se décomposer. Une minute à peine après l'ouverture du score, monté aux avants-postes, il égalise. Vingt minutes plus tard, toujours sur une autre planète, il décoche une frappe du gauche qu'il n'a probablement plus tenté depuis les pupilles deuxième année. Elle est parfaite. C'est après ce deuxième but magistral qu'il prend cette pose vouée à l'éternité, mi-pensive mi-interrogative, avec le doigt sur la bouche, Comme s'il n'était plus lui-même. Ou plutôt, comme s'il n'avait plus été lui-même tout au long de cette séquence. Cette moue, c'est l'instant de la prise de conscience de son inconscience. Comme s'il se réveillait et, revenant parmi nous, redevenant lui-même, disait "mais qu'est-ce que je viens de faire, là?" Tu viens de nous sauver, Lilian, a-t-on envie de lui répondre. Tu viens de marquer deux buts, ce qui équivaut à lui dire, tu viens de partir sur la lune pour marcher dessus avant de revenir sur terre en l'espace de vingt minutes.
On ne peut jamais réinterpréter l'histoire mais il est très probable que, si Lilian Thuram n'avait pas égalisé instantanément après le but de Suker, les Bleus ne s'en seraient pas sortis. Psychologiquement, ils étaient dans un tel état que, sans cette révolte immédiate, on peut raisonnablement penser que toute cette histoire se serait mal finie. C'est la magie de ce moment. C'est justement parce que, presque inconsciemment, un joueur a fait voler en éclats les schémas pré-établis avec un soin presque chirurgical que l'équipe de France a pu s'éviter une immense frustration. Il fallait cette part d'inimaginable (Thuram, un doublé?!) pour rétablir une situation presque désespérée.
Quelle portée? Collectivement, cette victoire marque un bond de géant pour le football français, qui est devenue la 14e équipe à se hisser en finale d'une Coupe du monde. Mais ce France-Croatie, on l'a vu, c'est d'abord l'histoire de l'explosion en plein vol du rationnel. Lilian Thuram a joué 142 matches en équipe de France. Il a marqué deux buts. En 22 minutes, ce 7 juillet 1998. C'était plus qu'improbable. C'était irréel. Mais c'était le seul moyen de sauver une équipe prisonnière de sa rationalité, trop consciente de l'enjeu que lui imposait ce match. Parce qu'il a semblé  perdre pied avec cette réalité, Thuram a sauvé les Bleus, agissant contre toute logique, accomplissant ce qu'il n'avait jamais été capable de faire auparavant, et qu'il ne sera jamais en mesure de réitérer.
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Top 100 1998 France Croatie Thuram

Crédit: Imago

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