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Kauffmann : "Sampras était mon idole, même moi je voulais qu'il gagne Roland"

Maxime Battistella

Mis à jour 11/06/2020 à 18:04 GMT+2

ROLAND-GARROS - Cette semaine, nous avons décidé de consacrer une série d’entretiens à ces joueurs français sortis de l'ombre au point de faire vaciller un monstre du jeu du côté de la Porte d’Auteuil. Tour à tour, ils nous racontent leurs "presque exploits". Pour notre quatrième et dernier numéro ce jeudi, Cédric Kauffmann nous fait revivre son 1er tour épique contre Pete Sampras en 2001.

Pete Sampras et Cedric Kauffmann lors de Roland-Garros 2001

Crédit: AFP

C'est l'apogée d'une carrière pas comme les autres. Ce 1er tour de Roland-Garros 2001 fut la récompense d'années de volonté, à se battre pour réaliser son rêve : devenir joueur de tennis professionnel. A 25 ans, Cédric Kauffmann, alors 250e mondial, faisait trembler le grand Pete Sampras sur le court Suzanne-Lenglen. Certes en fin de parcours (il prendra sa retraite après une dernière victoire à l'US Open l'année suivante, ndlr) et jamais vraiment à l'aise sur la terre battue parisienne, le Californien, alors numéro 5 mondial, n'était pas dans la forme de sa vie. Mais affronter une légende idolâtrée, la regarder droit dans les yeux et la pousser dans ses retranchements, ce n'est pas donné à tout le monde.
Cédric Kauffmann y est parvenu aussi parce que c'est un battant. Recalé par la Fédération française de tennis (FFT) au moment des tests pour intégrer le pôle France à Poitiers à l'âge de 13 ans, il avait alors pris la décision courageuse de s'exiler loin de sa famille aux Etats-Unis pour intégrer l'académie floridienne de Nick Bollettieri. Une belle expérience à l'issue de laquelle il lui sera conseillé de poursuivre ses études (de finance) plutôt que de se lancer dans le grand bain chez les professionnels.
C'est après quelques années de succès sur le circuit universitaire américain sous la bannière de l'université du Kentucky que Kauffmann a vu sa persévérance payer. Grâce à un sponsor, il s'est lancé en 1998, intégrant assez vite le top 400 pour ne pas perdre d'argent. Jusqu'à obtenir donc, trois ans plus tard, trois balles de match contre Sampras à Paris devant sa famille et ses amis, avant de s'incliner sans jamais craquer mentalement (6-4, 4-6, 6-2, 3-6, 8-6) en 3h12. Depuis, le Français a bouclé la boucle puisqu'il est devenu coach de l'équipe de tennis masculine de l'université du Kentucky. Discret et heureux aux Etats-Unis, il s'est finalement laissé convaincre de revenir sur ce match épique et détonant pour notre plus grand bonheur. Entretien.
Quelques mois après l’US Open, vous vous qualifiez pour votre deuxième grand tableau de Grand Chelem à Roland-Garros. Comment avez-vous réagi en découvrant votre tirage : Pete Sampras au 1er tour ?
C. K. : Il me semble que j’étais le seul Français qui était sorti des qualifications. La presse a donc sauté sur moi un peu vite. Il y avait 16 trous dans le tableau réservés à des qualifiés dont un en face de Sampras et un journaliste m’a posé la question suivante : ‘Il y a une chance que vous affrontiez Sampras, vous seriez content ?’ J’ai répondu que ce serait un super moment et j’aurais dû peut-être fermer ma gueule. Deux heures plus tard, je tire Sampras. Toute ma famille était très contente que je le joue. Pendant un petit moment, j’ai eu un peu peur de passer à côté, mais je me suis dit : ‘C’est pour ça que tu es là, c’est pour ça qu’on a travaillé beaucoup, pour profiter de ce genre de moment.’
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Cedric Kauffmann lors de Roland-Garros 2001

Crédit: AFP

D’ailleurs, vous avez préparé ce 1er tour d’un manière plutôt originale la veille. Racontez-nous.
C. K. : Le Roland-Garros 2001, c’est le seul que j’ai joué. J’aurais pu tenter ma chance une autre année mais je n’étais pas très bon sur terre, j’étais meilleur sur dur. Et en mai, je jouais les Interclubs pour Levallois. Je pense que ça m’a aidé d’être autour d’amis comme Jean-Christophe Faurel (actuel coach de Cori Gauffi, ndlr), Thierry Ascione. On essayait de monter en novembre en National 1 donc il fallait gagner cette rencontre par équipes le dimanche. Et j’ai joué un joueur du top 100, Antony Dupuis, contre lequel j’ai perdu.
Ces Interclubs vous ont-ils permis de vous détendre ? Ne craigniez-vous pas de perdre trop d’énergie avant Sampras ?
C. K. : Oui, ça m’a enlevé un peu de pression, parce que ça m’a sorti de Roland-Garros. Ça m’a vidé la tête, mes amis sont venus me voir, mes parents étaient là. Mon atout était le physique, je pense, donc ça ne m’a pas trop dérangé. Je pense que je l’ai fait pour mes amis : 95 % des joueurs ne l’auraient pas fait ce match-là, mais j’ai toujours été un joueur d’équipe.
A l'échauffement, je n'arrivais pas à centrer la balle plus de trois fois d'affilée. Il est venu au filet, il m'a demandé de faire des smashes et j'ai envoyé une balle dans les gradins. Il m'en a demandé une autre et j'ai presque fait une amortie. Il a commencé à s'énerver donc je n'étais pas bien
Que pensiez-vous de Sampras ? Préfériez-vous Agassi, un autre célèbre élève de l’académie Bollettieri ?
C. K. : Non, Sampras était mon idole, c’est sûr. Je le regardais depuis que j’étais petit. Je savais que ça allait être dur et j’ai eu peur de perdre sur un score qui allait faire l’Histoire à Roland. Mais mes parents m’ont toujours dit : ‘Ils ont deux bras, deux jambes, comme toi.’ Ce n’est pas facile, mais il faut savoir que ces grands joueurs ont aussi des émotions, qu’ils peuvent être nerveux. Ils ont des forces bien sûr, mais ils ont aussi des petits défauts.
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Pete Sampras à Roland-Garros en 2001

Crédit: Getty Images

Vous n’aimiez pas vraiment la terre battue, mais Sampras non plus. Qu’aviez-vous prévu de faire pour l’embêter ?
C. K. : Tactiquement, bien sûr, j’en avais parlé avec les copains. Et ils m’avaient dit : ‘Ça va aller, Ced’. Tu vas jouer sur son revers et tu vas le faire courir.’ Ok, mais c’est facile à dire. A l’époque, c’était difficile d’avoir des vidéos de matches, il n’y avait pas les iPhones ou Internet. Donc il fallait demander conseil et le plan, c’était de le bouger côté coup droit (son coup fort, ndlr), tenir le choc et ouvrir côté revers. Sinon, il fallait jouer haut sur son revers, mais il pouvait se décaler donc ce n’était pas si évident.
Quels sont vos souvenirs du début de partie ?
C. K. : Je me rappelle très peu des 5-10 premières minutes. J’étais très nerveux parce que je l’avais vu à la télévision pendant 10-15 ans et là, je l’affrontais sur le Suzanne-Lenglen. Je me souviens que pendant l’échauffement, je ne sentais pas la balle, je n’arrivais pas à la centrer plus de trois fois d’affilée. Il est venu au filet, il m’a demandé de faire des smashes et j’ai envoyé une balle dans les gradins. Il m’en a demandé une autre et j’ai presque fait une amortie. Il commençait à s’énerver, donc je n’étais pas bien. (Rires.) Il a fait son premier jeu de service et, de mon côté, j’ai joué un premier jeu solide. Je pense que ça m’a relâché à 50 % de ne pas prendre une bulle. Je n’ai perdu le premier que 6-4 mais je n’ai pas bien joué. Je le tenais mais je ne jouais pas pour gagner.
La peur de son niveau était partie. Je savais qu’il était meilleur que moi. Mais ce que j’ai appris durant ma carrière, c’est que sur un jour, on peut battre n’importe qui
Et puis arrive ce fameux point en fin de deuxième set, sur son service à 5-4 pour vous, qui vous libère totalement.
C. K. : Comme je vous le disais, j’étais dans le match mais pas encore pour le gagner. Il monte au filet, j’étais sur la jambe arrière donc je le lobe. Il saute – j’étais dans la bâche parce que je savais que j’étais un peu dans la merde – et il smashe fort sur la droite. Mais je suis à deux pas de l’avoir donc j’y vais et la balle était à hauteur de mon smash. Et j’ai tapé de toutes mes forces. Je me suis relâché, et parfois au tennis, quand on tape un coup, on sait que l’adversaire ne pourra pas aller le chercher. Et à ce moment-là, quand la balle voyage et passe au-dessus du filet, je l’accompagne en criant. Comme si je m’amusais avec les copains. Et ça m’a libéré, je me suis dit : ‘Je peux mieux jouer, je peux le battre.’ J’ai fait le break pour gagner le set et le match a vraiment commencé.
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Cédric Kauffmann à Roland-Garros en 2001

Crédit: Getty Images

Sampras, lui-même, en conférence de presse, a parlé d’un tournant. Le public s’est-il mis à vous porter ?
C. K. : Les spectateurs ont poussé Sampras au début, c’est sûr, parce qu’il n’y arrivait pas à Roland. Même moi, je voulais qu’il gagne à Roland pour qu’il ait le Grand Chelem en carrière. Et je pense que quand les gens, qui faisaient déjà du bruit, ont vu ce coup, ils se sont dit : ‘Allez, faut l’encourager le petit !’ Il y a eu des gens qui ont commencé à me soutenir et à vouloir un match qui dure plus longtemps. Dans le quatrième, ils voulaient encore que je revienne, mais je pense que dans le cinquième, ils voulaient que Sampras gagne. Je pense que c’était 70-30 contre moi quand même. (Rires.)
Et donc même mené deux sets à un, vous pensiez pouvoir le renverser ?
C. K. : Oui, la peur de son niveau était partie. Je savais qu’il était meilleur que moi. Mais ce que j’ai appris durant ma carrière, c’est que sur un jour, on peut battre n’importe qui. J’ai commencé à y croire. Je continue à penser que je jouais bien dans ce 1er tour, mais j’avais joué du meilleur tennis pendant les qualifs. Ce n’était pas le match de ma vie. Tout le monde me parle de ce match mais je n’ai pas joué mon meilleur tennis. Lui avait joué 1000 matches comme celui-là, alors que c’était mon deuxième après l’US Open où j’avais fait un match pourri contre Arnaud Di Pasquale au 1er tour que je noterais à 5/10. Contre Sampras, j’ai joué 7-8/10, mais jouer à ce niveau dans un tel match, ce n’est pas facile, c’est vrai. Il faut le sortir.
Je pense qu'il était un petit peu fatigué, mais je savais qu'il était encore plus dangereux. J'avais vu ce match de l'US Open lorsqu'il était malade
Cette façon que vous avez de vous accrocher à ce moment-là, la devez-vous à un état d’esprit qui vous aurait été inculqué pendant votre formation aux Etats-Unis ?
C. K. : On dit que les Américains se battent, mais les Français aussi. Peut-être que les Américains sont plus forts dos au mur. Mais pour moi, c’est une question de caractère. Je me suis toujours battu parce qu’on m’a toujours dit que je n’étais pas assez bon. La FFT ne m’a pas pris au pôle France de Poitiers à 13 ans, mes coachs en Floride m’ont dit que je n’étais pas prêt et que ce n’était pas sûr que je fasse carrière. Donc, je me suis battu peut-être un peu plus pour me prouver que je pouvais le faire.
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Pete Sampras à Roland-Garros en 2001

Crédit: Getty Images

Le match s’allonge et Sampras fatigue. Mais il était capable d’en jouer aussi : sa lassitude vous a-t-elle affecté ?
C. K. : Je pense que quand on est joueur de tennis depuis un certain temps, on voit si son adversaire est fatigué ou pas. Je pense qu’il l’était un petit peu, mais je savais qu’il était encore plus dangereux fatigué. J’avais vu pendant sa carrière ce fameux match de l’US Open lorsqu’il était malade (il avait fini par battre Alex Corretja en cinq sets en quart de finale en 1996, ndlr). Mais même moi, ça m’arrive de bien jouer quand je suis un peu malade, parce qu’on se relâche, on se dit qu’on n’a rien à perdre. Je savais donc qu’il était très, très dangereux quand il était comme ça. Le cinquième set pouvait se jouer au physique mais j’avais encore beaucoup de travail à faire contre un gros joueur comme ça.
Et sur la lancée de votre quatrième set, vous prenez son service dans le cinquième.
C. K. : Oui, et ce n’est pas facile de tenir son break d’avance tout le set. Mais je le tiens pour me donner une chance de finir le match.
Sur la deuxième balle de match, j'hésite au passing. J’avais beaucoup passé court croisé, et au dernier moment, je choisis d'aller droit devant. Mon corps monte un peu à la frappe, la balle est trop haute, il couvre bien au filet et il la claque. C’est l’erreur de mon match
A 5-3 en votre faveur, vous obtenez deux premières balles de match sur le service adverse. Des regrets ?
C. K. : Sur la première, il sert bien. Je ne peux rien faire. Ma plus grande opportunité, c’est sur cette deuxième balle de match sur son service. Il monte au filet, je fais un bon retour, sa volée, un peu profonde mais pas trop, revient sur mon revers et je suis prêt pour le passing. Et là, j’hésite. Pas parce que c’était une balle de match, mais sur la zone où je voulais frapper. J’ai trois choix : je peux le faire court croisé, long de ligne ou je fais un lob. Pendant le match, j’ai beaucoup passé court croisé, et au dernier moment, je choisis d'aller droit devant. Mon corps monte un peu à la frappe, la balle est trop haute, il couvre bien au filet et il la claque. C’est l’erreur de mon match, s’il y en avait une à retenir.
Dans le jeu suivant, vous en avez une troisième sur votre service. Mais Sampras fait ce qu’il faut.
C. K. : Il y avait énormément de monde quand j’ai servi pour le match et je suis un peu sorti de ma concentration. A chaque fois que je bougeais, il y avait 100 personnes avec des appareils photo et je commençais à entendre les cliquetis. Mais il ne fait pas un bon début de jeu et je me retrouve avec une balle de match à 40/30. J’ai alors un choix à faire entre frapper fort ma première pour essayer de gagner le point tout de suite, ou kicker sur son revers (effet lifté haut, ndlr) comme je l’ai fait tout le match. J’ai choisi la deuxième option pour avoir un coup droit au centre. Je frappe mon coup droit, mais il est beaucoup trop court et il me claque la balle le long de la ligne comme un champion. Il n’a pas peur, il vient au filet et il conclut d’une belle volée amortie. Avec un calme incroyable pour ce moment-là. Mon coup droit précédent était un peu court, mais seulement 10 joueurs dans le monde pouvaient faire ce qu’il a fait.
Il débreake finalement et le match se termine quelques jeux plus tard sur votre service. Mais vous n’avez pas vraiment craqué, si ?
C. K. : Le match a changé de dynamique, c’est sûr. La foule était pour Sampras. Et là, il a joué du très, très bon tennis. Je sauve deux balles de match à mon tour pour tenir. Mais il continuait à être agressif, à sortir des coups… à la Sampras. Et je m’incline 8-6. Au filet, il a été très gentil, il a dit : ‘Match incroyable. Respect. Merci’, en me serrant la main.
J'ai recruté mon premier joueur français, Alexis Musialek, à l'université du Kentucky grâce à ce match
Et avez-vous eu l’occasion de reparler de ce match avec lui ?
C. K. : Non, je suis un petit joueur, moi. J’avais du talent, mais pas comme les top 50. Mais de toute façon, c’était un joueur discret dans le vestiaire lui aussi. Ce n’était pas comme Federer qui disait bonjour à tout le monde. Sampras restait dans sa bulle tout le temps. Mais je sais qu’il a été élogieux dans les journaux en disant que j’étais très rapide et que je m’étais bien battu.
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Pete Sampras à Roland-Garros en 2001

Crédit: Getty Images

Vous atteignez votre meilleur classement dans la foulée (195e mondial). Mais vous avez pris votre retraite seulement deux ans plus tard, que s’est-il passé ?
C. K. : J’étais à quelques jeux de me qualifier à Wimbledon, puis à l’US Open. J’avais fait de bons résultats en Challengers (titre à Binghamton notamment, ndlr). C’est ce qui se passe quand vous faites ce genre de match, vous croyez plus en vous et vous vous dites que vous pouvez faire carrière dans le tennis. J’étais relâché, je jouais bien. Et ma femme est tombée enceinte à ce moment-là. J’étais ravi, mais dans la tête, j’étais moins concentré sur le tennis. J’ai toujours été très famille de toute façon, avec mon frère, ma sœur et mes parents en France. Maintenant, je suis marié, j’ai quatre enfants. J’ai gagné plus d’argent dans ma vie dans la finance que dans le tennis ensuite.
Une dernière confidence : votre match contre Sampras est un souvenir d’enfance personnel. Ce 1er tour m’a marqué et m’a donné l’idée de cette série d’entretiens, donc merci.
C. K. : C’est marrant et ça me rappelle une histoire. Beaucoup de jeunes ont vu ce match et quand je suis devenu coach à l’université du Kentucky, le premier joueur que j’ai recruté de France, c’était Alexis Musialek (il a 31 ans et est désormais 608e à l’ATP, 255e au mieux, ndlr). Il a joué quatre ans pour moi et récemment, il était sparring-partner pour aider les filles de l’équipe de France à gagner la Fed Cup. Et quand je l’ai recruté, il m’a dit : ‘Cédric, je me souviens de ce match. J’avais 13 ans et j’ai regardé tout le match. C’était incroyable, je veux intégrer ton université.’ Donc, mon premier étudiant français, je l’ai eu grâce à ce match. Et il est devenu l’un de mes meilleurs amis.
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