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Roland-Garros 2022 : Stefanos Tsitsipas, cet étrange oiseau

Cyril Morin

Mis à jour 24/05/2022 à 20:29 GMT+2

ROLAND-GARROS 2022 - Finaliste la saison passée, Stefanos Tsitsipas aborde le Majeur parisien avec le vent dans le dos, fort d'une saison terrienne réussie. Le Grec, qui a connu un énorme passage à vide après la finale de 2021, reste un joueur à part sur le circuit, pas forcément dans les clous. Et les récentes polémiques le concernant ont renforcé une image clivante. Mais qui est-il vraiment ?

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Comme en politique, l'état de grâce ne dure qu'un temps. Pour Stefanos Tsitsipas, la lune de miel avec le circuit est finie depuis bien longtemps. Le gamin rafraîchissant de 2019, qui battait Roger Federer à Melbourne avec panache et personnalité, n'a plus grand-chose à voir avec l'homme de 2022. "Je voudrais rappeler que je ne suis plus un joueur de la NextGen maintenant, je suis un adulte désormais", insistait-il déjà en octobre 2020. Mais chez les grands, le Grec ne fait pas l'unanimité.
Andy Murray, Sascha Zverev, Daniil Medvedev, Novak Djokovic, Corentin Moutet ou même un arbitre français : la liste des acteurs ayant eu maille à partir avec Tsitsipas s'allonge à mesure qu'il grandit. A Barcelone, on a bien cru que Carlos Alcaraz viendrait compléter le casting. Après un "passing" sur l'homme dangereux, le Grec n'a pas eu un regard pour le jeune Espagnol, qui n'attendait que ça au filet.
Et puis, il y eut cette pause-toilettes en plein milieu du troisième set, qu'Alcaraz a identifiée comme une manœuvre de déstabilisation à la limite du fair-play. Finalement, entre les deux, l'entente semble au beau fixe, Tsitsipas n'ayant eu de cesse de louer la mentalité du nouveau phénomène du circuit.
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Sifflets et pénalité : La pause toilettes qui a coûté cher à Tsitsipas

Mauvais joueur, arrogant, condescendant ou charismatique, intéressant et authentique : tout le paradoxe Tsitsipas se situe dans ce clivage qui semble diviser les suiveurs du jeu. A en croire ceux qui le connaissent le mieux, rien n'est surjoué, rien n'est forcé. "Il n'est pas forcément copain avec tout le monde, non pas parce qu'il n'aime pas les gens, mais parce qu'il vit beaucoup dans son monde intérieur, expliquait ainsi Patrick Mouratoglou auprès de France Info en 2019. Il est différent, très souvent dans son coin, ou avec son équipe. Il a un blog, il a un compte sur Instagram et sur Facebook, il a un podcast. Son monde intérieur est riche, contrairement à plein d'autres joueurs qui sont entre eux et qui rigolent toute la journée, ce qui est très bien aussi, mais il est différent."
Cette différence, Tsitsipas l'assume et la revendique. Quitte à regretter un circuit où, malgré son statut et son expérience, il semble en difficulté pour trouver sa place. "J'étais un enfant introverti et je n’avais pas beaucoup d’amis, expliquait-il à Noah Rubin dans le podcast Behind The Racket. Quand j’ai commencé à jouer sur le circuit, je pensais que je pourrais développer des amitiés, mais cela s’est avéré être le contraire. La plupart des joueurs restent seuls. J’ai l’impression que les joueurs ne veulent pas devenir amis parce qu’ils pensent que quelqu’un va vous saisir un secret pour vous battre. Je suppose qu’ils sont trop sérieux à propos de tout cela".
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Une bulle à part pour Djokovic, le plafond de verre de Tsitsipas

Un clan familial omniprésent

Ce repli sur lui-même s'est sans doute accentué ces derniers mois. Le système clanique de la famille Tsitsipas a fini par se retourner contre elle : les accusations de coaching répétées à l'encontre du Grec ne visaient personne d'autre que l'omniprésent Apostolos Tsitsipas. "A un moment donné, son père doit s'en aller, estimait ainsi notre chroniqueur Mats Wilander après un Open d'Australie marqué – encore – par du coaching fantôme. Laisse Stefanos régler les choses par lui-même".
Reste qu'entre les deux, c'est une relation fusionnelle, avec ses accès de colère mais aussi des moments de complicité intense. Elle vient aussi de l'itinéraire d'une famille qui a tout misé sur le talent du fils prodige. A 12 ans, Stefanos voit son père abandonner son travail pour le suivre sur les tournois. "Je ne sais pas s'il avait le choix mais il a pris le risque, expliquait-il en 2018. Il a tout quitté pour voyager avec moi. Donc forcément, je mesure tout ce qu'il a fait pour moi, c'est incroyable. Il n'y a pas beaucoup de pères qui feraient cela pour leur fils".
Depuis, le staff de Tsitsipas s'est évidemment renforcé, notamment avec l'appui de Mouratoglou et de sa structure d'entraînement. Mais la relation père-fils reste le noyau du fonctionnement de Tsitsipas, un sujet souvent mis en avant dans ses conférences de presse où il assume ce fonctionnement particulier. Et, par moments, c'est bien le gamin dans sa bulle qui ressurgit sur le court, comme en janvier dernier où il n'avait pas compris que le match face à Benoît Paire touchait à sa fin.
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Apostolos Tsitsipas et Patrick Mouratoglou lors de Roland-Garros 2021

Crédit: Getty Images

Burn-out et philosophie

"Pour moi, Tsitsipas est un joueur qui vit l'instant présent, même s'il a parfois la tête dans les nuages, explique aujourd'hui Mats Wilander, qui avait été marqué par cette séquence à Melbourne. Je pense qu'il ne sait même pas combien de temps il passe aux toilettes, si c'est deux, cinq, dix ou douze minutes. Ca n'a pas l'air de lui effleurer l'esprit. Parfois, il n'entend pas l'arbitre donner le score et ne sait donc pas où il en est, ce qui est remarquable car cela dit tout de son état d'esprit. Il pense juste à frapper la balle, à chercher la bonne tactique pour le prochain point. Peu importe ce qu'il fait, il le fait de manière connectée à cet instant. En tennis, c'est franchement très rare que le score ne dicte pas ta conduite, je dirais même que ça correspond à 95% du temps. On joue en fonction de ça, forcément. C'est pour ça qu'il me semble dans un état d'esprit différent que celui de Rafa ou Roger. Pour Stefanos, il s'agit plus de jouer le point sans tenir en compte le score. Et franchement, j'admire vraiment cette façon de faire".
Tellement engagé qu'il s'y perd parfois. Chez lui, les défaites font plus mal qu'à d'autres. Ou en tout cas plus longtemps, comme s'il restait marqué au fer rouge. Après son échec en finale de Roland-Garros l'an passé, c'est une longue fin de saison qu'il avait vécue, déceptive à la vue de son début d'année canon en 2021 et marquée par une opération au coude. De quoi le replonger dans des sensations qu'il pensait avoir oubliées.
"Lors de mes premières saisons sur le circuit, j'étais très intense, expliquait-il avant Indian Wells. Je me donnais toujours à 100 %, tout le temps. Et ça m'a conduit à un burn-out. […] Le burn-out, c'est simple. Plus rien ne va dans votre sens. Vous essayez très fort, plus qu'avant, mais aucun résultat positif n'en ressort. Vous n'en tirez plus aucune satisfaction, vous ne prenez plus autant de plaisir. Le jeu n'est plus le même. C'est pour ça qu'il faut savourer chaque petite chose positive, ce qui vous donne envie d'aller sur le court. En gros, moins d'attentes et plus de fun."
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"Je ne cherche pas à être aimé de tous"

Alors, Tsitsipas suit sa propre voie, sans que tout le monde ne le suive à chaque fois. Cette saison, ses messages cryptiques sur la caméra ont illustré encore ce côté décalé. "Crabe rose", "Sous-marin jaune", "Parachute vert", "Chaise orange" : personne n'a vraiment compris où voulait en venir le Grec. Mais sa singularité s'exprime aussi là, comme sur son compte Twitter où ses messages, mêlant politique et philosophie, sont très relayés. Photos, vlog, vidéos : la créativité du jeune Stefanos s'exprime aussi en dehors du court.
Comme les autres champions qu'il côtoie, Tsitsipas est obsédé par le tennis, par ses résultats, par la trace qu'il laissera dans l'histoire du jeu. Mais, pour y arriver, il a choisi son chemin. Certes un peu solitaire, certes un peu décalé mais finalement terriblement authentique. Ses conférences de presse sont souvent des moments privilégiés où aucune des réponses ne semble formatée. Ainsi avance Stefanos, ainsi divise Tsitsipas. Sous le feu des critiques à l'US Open, le Grec avait finalement résumé quel curieux, presque fascinant, oiseau il est : "Je ne prétends pas que tout le monde m’aime. Je ne cherche pas à être aimé de tous".
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Stefanos Tsitsipas à Rome en 2022

Crédit: Getty Images

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